Sur la presqu’île de Lahou, fine bande de sable s’étirant latitudinalement, à l’ouest d’Abidjan, le long des côtes ivoiriennes, la mer est omniprésente. Omniprésente à la vue, puisque son patient grignotage des terres lui permet d’étendre constamment son domaine et de cerner toujours de plus près les humains qui lui disputent le sol qu’elle convoite ; omniprésente à l’ouïe, puisque l’Atlantique Sud continue à faire entendre le fracas de ses vagues même lorsqu’il sort du champ de vision ; omniprésente à l’esprit, puisque le combat qui s’est instauré avec l’homme et ses manifestations d’implantation ne laisse pas les îliens en paix, leur contestant jusqu’à leurs morts, qu’il leur faut exhumer nuitamment, selon un rituel précis, afin de les conduire vers une sépulture plus sûre.
Aussi patient et déterminé que l’eau, sur un rythme très élémental, Simon Coulibaly Gillard, également à l’image et au son, forme une équipe légère avec son assistant Lassina Coulibaly, ce qui lui permit d’étendre le tournage sur un an et demi et de le réaliser en trois séjours, chacun de deux à trois mois. Il accompagne ses comédiens, non professionnels, dans un quotidien au demeurant très proche de celui qu’ils connaissent hors-caméra, ne scénarisant que légèrement, et dans un constant dialogue avec eux. C’est ainsi que l’on suit son héroïne éponyme, Aya (la jolie Marie-Josée Degny-Kokora), post-adolescente irrésistiblement enjouée, dans le soin qu’elle prend de son très jeune frère, presque encore bébé, dans sa complicité ou ses conflits avec sa mère (Patricia Egnabayou), à l’église, dans ses cueillettes de noix de coco, ses dialogues avec des petits crabes ou encore ses ébauches amoureuses. La question de la lutte contre l’eau sous-tend l’ensemble de ce docu-fiction : faudra-t-il céder la place à l’élément marin ? Partir vers la terre ferme, la grande ville ? Mais ne pas s’y perdre…
Car incontestablement (et même si l’on sait bien qu’elle ne pourra pas monter les marches à Cannes ; du moins on l’espère ! Sinon il s’agirait d’une singulière extension de son territoire…), la grande vedette du film, sa véritable star, est l’eau. Superbement captée par l’œil de Simon Coulibaly Gillard, elle apparaît dans ses états les plus sombres, les plus menaçants, dans des bleu-gris métalliques sur fond de ciels plombés, ou déversant son écume sur les plages avec la jouissance d’une conquérante, mais peut aussi s’offrir dans le calme étincelant d’un cristal, ou la transparence aérienne d’une myriade de bulles ascendantes. S’infiltrant jusque dans les rêves d’Aya, elle y déploie une sensualité toute féminine et des capacités d’accueil matriciel… Et que dire des jeux de la lune dans une flaque, tantôt mirant sa parfaite rondeur narcissique, tantôt explosant en milliers de diamants kaléidoscopiques !
Rythmé, ponctuellement seulement, par une musique locale très discrète, et surtout par le délicat clapotis de la langue dioula mêlée au français (mais un français si mélodieux qu’il a bien besoin d’être sous-titré !), ce long-métrage glisse avec le soyeux de l’eau, en une progression lente et obstinée, inexorable. Mais le réalisateur n’oublie pas que, si l’eau peut détruire et tuer, elle est également et avant tout force de vie.