"Baal", de Volker Schlondorff : les proies

Il ne fait aucun doute que la sortie de "Baal" est lié à un nom : Rainer Werner Fassbinder. Si c'est le premier film de Volker Schlöndorff, le scandale qu'il a suscité lors de son passage à la télévision allemande, repose sur le personnage incarné par Fassbinder, qui avait à l'époque réalisé un seul long métrage "L'amour est plus froid que la mort". Fassbinder, du haut de ses 24 ans, qui parait déjà plus mature que jamais, revêtu de son blouson de cuir, est de quasiment tous les plans, et transpose déjà ce qui faisait sa singularité : un personnage énorme, bisexuel, assez tyrannique avec son entourage.


Interdit par la veuve de Brecht (le film est adapté de la première pièce de l'écrivain), "Baal" représente un monument de noirceur absolu. Que peut-il rester aujourd'hui d'un film destiné au départ à la télévision, sauvé par Barbara Schall ? S'il renseigne sur l'ogre Fassbinder, par la manière dont son personnage humilie les autres, "Baal" est un film difficile à intégrer, tant sa noirceur empêche au spectateur de trouver un point d'identification. Car le film, à travers le personnage du poète Baal, repose beaucoup sur la figure de l'exclusion : en effet Baal, personnage envisagé comme un génie par les autres, du haut de son piédestal, ne les convoque que pour les rejeter. La scène inaugurale du film (un dîner en son honneur) est complètement axée sur cet aspect et va se répéter un nombre incalculable de fois.


Que ce soit en donnant rendez-vous à une bourgeoise dans une auberge glauque, où en faisant venir dans sa misérable chambre deux jeunes sœurs pour assouvir sa libido, le comportement de Baal débouche invariablement sur l'humiliation de l'autre et par son rejet. Ici, le rejet côtoie la fange, et une scène va jusqu'à le figurer réellement : celle de la femme qu'il ramasse littéralement dans la rue pour l'emmener avec elle, et qu'on voit pétrir de la boue et se rouler dedans ; femme qui, comme d'autres, est mue par une fascination incompréhensible pour celui dont elle souligne la laideur.


Aucune lueur d'espoir ne filtre dans ce film même pas désespéré, porté par un cynisme destructeur soutenu par son personnage principal. Aucune respiration, aucune lueur n'y filtre. Et quand bien même le film serait ponctué par des chants (les fameux songs brechtiens livrés sur le mode western), c'est pour mieux révéler la bestialité de Baal. Et les femmes qui, dans l'univers de Fassbinder - même noir, même sombre - rayonnent, sont ici réduites à des rôles dégradants ; rabaissées, prises qu'elles sont dans les filets contradictoires d'un individu dont le comportement repose sur des mécanismes pervers, elles ne peuvent que chuter, à l'image de Margarethe Von Trotta, enceinte. Glaçant.

JumGeo
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le 5 janv. 2016

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