"Une poule dans le vent" : misère et douleur

Film très étonnant d'Ozu, d'une noirceur terrible, à inscrire dans une veine néo-réaliste : réalisé en 1948 (la même année que "Le voleur de bicyclette"), son intrigue se situe dans l'immédiat après-guerre, c'est dire si le cinéaste japonais fait œuvre de quasi-contemporanéité. Véritable descente aux enfers d'une femme, le film place au cœur de son dispositif la question du social, la répercussion de la guerre sur les êtres, et la manière dont ils essaient de s'en sortir. Le mot d'ordre devient : comment survivre, tout en restant digne.
Avec le retour du mari de la guerre, le film, déjà tragique, prend une tournure quasi sado-maso, dans la façon dont le mari rejette sa femme : il y a ainsi dans ce film une séquence d'une violence inouïe, inhabituelle chez ce cinéaste délicat qui étouffe toute douleur sous des masques de sociabilité. La femme - incarnée par Kinuyo Tanaka, familière de l'univers d'Ozu depuis le muet - tombe dans l'escalier, poussée par son mari. et la manière dont la scène se conclut, propice à une réconciliation, est marquée par une sorte de jouissance éprouvée par l'homme à l'idée de voir sa femme boiter suite à sa chute. La moralisation extrême qui fait passer la femme par un chemin de croix douloureux - au point de ne pas être aidée après sa chute - ne révèle alors qu'une chose : il faut que, pour se laver de son acte répréhensible, elle passe par une dégradation morale et physique avant de regagner la confiance du mari. Glaçant, tout simplement.
JumGeo
7
Écrit par

Créée

le 21 mai 2014

Critique lue 683 fois

5 j'aime

1 commentaire

JumGeo

Écrit par

Critique lue 683 fois

5
1

D'autres avis sur Une femme dans le vent

Une femme dans le vent
JumGeo
7

"Une poule dans le vent" : misère et douleur

Film très étonnant d'Ozu, d'une noirceur terrible, à inscrire dans une veine néo-réaliste : réalisé en 1948 (la même année que "Le voleur de bicyclette"), son intrigue se situe dans l'immédiat...

le 21 mai 2014

5 j'aime

1

Une femme dans le vent
Samji
6

Jeanne Dielman au Japon

Une femme dans le vent est un film assez modeste dans la filmographie d'Ozu. Si sa patte est bien présente, toujours efficace et lumineuse, l'histoire est trop linéaire et manque de subtilité. Les...

le 26 nov. 2023

2 j'aime

Une femme dans le vent
YasujiroRilke
8

Critique de Une femme dans le vent par Yasujirô Rilke

L'OEuvre d'Ozu est une source inépuisable de joie. Ce drame autour d'une femme contrainte de se prostituer avant que son mari ne revienne du front est un diamant brut d'humanité, une célébration...

le 1 sept. 2023

2 j'aime

Du même critique

Les Chiens de paille
JumGeo
4

De la violence des pulsions

"Les chiens de paille" est un film connu pour ses accès de violence extrême. Mais, face aux chef d’œuvre de Sam Peckinpah ("La horde sauvage" pour sa trajectoire crépusculaire, "Pat Garrett et Billy...

le 18 sept. 2015

9 j'aime

Portrait of Jason
JumGeo
7

L'individu et le mythe

Noir, homosexuel, toxicomane. C'est beaucoup pour un seul homme, en tout cas au regard d'un pays comme les Etats-Unis dans les années 60, et au regard de la manière dont les noirs peuvent apparaitre...

le 19 mars 2014

6 j'aime

Femmes entre elles
JumGeo
7

"Femmes entre elles", ou comment faire tomber les masques

Si "Femmes entre elles" n'a pas la modernité esthétique de "Chronique d'un amour" (ses vertigineux plan-séquences, notamment), le film n'en reste pas moins un jalon important dans la filmographie...

le 22 sept. 2012

6 j'aime