État de piège
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"Les chiens de paille" est un film connu pour ses accès de violence extrême. Mais, face aux chef d’œuvre de Sam Peckinpah ("La horde sauvage" pour sa trajectoire crépusculaire, "Pat Garrett et Billy the kid", pour son rythme contemplatif et mélancolique), cet opus laisse un malaise pas seulement lié à cette violence, somme toute assez banale chez Peckinpah, adepte de la stylisation. Ici, le retour d'Amy dans le village de son enfance en compagnie de David, son mathématicien de mari (incarné par un Dustin Hoffman par forcément convaincant dans le rôle du "seul contre tous"), inscrit le film dans une veine purement régressive, où la dimension de civilisation incarnée par David le cède à un déchainement pulsionnel (libération de la violence et des appétits sexuels).
Pour signifier cette perte de repaire civilisationnelle, le film adopte une posture esthétique où il s'agit, dès le départ, de tout rendre visible, en faisant en sorte que le regard des curieux (comme dans la scène d'ouverture) se dote d'une force telle qu'il en devient lui-même obscène. C'est ainsi que la jeune femme qui traine autour d'Amy, et Amy elle-même dans sa robe courte, en paraissent encore plus déshabillées.
Beaucoup du film va se jouer autour de cette question de la libération pulsionnelle, par la mise entre parenthèse des règles de bienséance. Si les regards torves des ouvriers définissent cette attitude, ils sont relayés, dans le film, par le comportement d'Amy : sans soutien-gorge, elle donne l'impression d'être une femme décomplexée, et son mari a beau lui dire, dans une scène, de mettre un soutien gorge pour éviter d'être l’appât du regard des hommes, on la voit, dans la scène suivante, nue, aller prendre un bain, tout en se sachant regardée par les hommes sur le toit de la maison.
Mais c'est justement dans le film le rôle attribué aux femmes, et particulièrement à Amy, qui confine au malaise. Pour le dire sans détour, dans "Les chiens de paille", la femme représente tout simplement la faute, sous couleur d'une certaine innocence infantile : elle est exhibitionniste (Amy et sa décontraction vestimentaire), elle en arrive à séduire un demeuré (la jeune fille avec le benêt joué par David Warner ), au point d'être à l'origine du déclenchement de la violence sourde ; on en arrive même dans le film, pour la femme violée, à renverser l'horreur pour faire en sorte qu'elle ressente du plaisir dans les bras de son agresseur. Que dire de la scène où Amy, horrifiée, tente de quitter la maison, David la retient en la tirant par les cheveux ? Quelques séquences avant, il lui disait "au fond, tu n'es pas si bête". Sous prétexte de vouloir dénoncer la violence, Peckinpah pare son film d'une misogynie rampante. Pour cela, "Les chiens de paille", opus bancal de ce grand cinéaste, ne saurait nous plaire.
Créée
le 18 sept. 2015
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