Traiter de la banlieue (si tant est que ce mot veuille dire quoique ce soit) au cinéma n’est jamais une mince affaire, voire semble s’avérer une mission impossible, puisque l’objet même du cinéma n’est pour l’instant (et ne sera sans doute jamais) pas créé par et adressé aux publics qui l’habitent, aux publics concernés. Un film sur la banlieue prendra donc toujours le risque de ne pas s’adresser aux bonnes personnes, de ne pas le faire de la bonne façon, de prendre le mauvais angle.


Bac Nord coche l’intégralité de ses cases et en devient un film proprement odieux en tous points.


Odieux puisqu’il n’a tout d’abord pas été fait au bon moment, semblant dater déjà. Les violences, les abus et plus globalement l’impunité policière ont été récemment et sont toujours l’objets de nombreux débat.
Avec les mouvements des Gilets Jaunes, ils ont éclaté à la face d’un monde qui se refusait à voir ce qui ne se passait pas dans ses rues. Une fois la violence exportée et arrivée aux yeux de tous (aux yeux des urbains, aux yeux des bourgeois, aux yeux des blancs), la question de celle qui est pratiquée à l’extérieur de ces quartiers semblait nettement plus évidente. Il y a un problème avec la police, un problème avec certains policiers, et plus globalement avec l’Institution au sens large (parallèle tout à fait compatible avec l’Eglise, ou toute forme d’institution au sens large), et le film le dit d’emblée. Les cas d’abus sont donc aujourd’hui largement médiatisés, l’IGPN remise en permanence en question et les affaires d’injustices connues de tous. Bac Nord a donc un culot monstre d’oser sortir aujourd’hui et d’oser affronter son sujet de cette façon. Certes tout film a droit de traiter tout sujet, et quand il le souhaite, mais il y a une espèce d’impudence à sortir dans cette période un film qui prend pour sujet l’injustice et l’applique à des policiers qu’il sacralise en victimes d’une institution corrompue de l’intérieur.


Une toute bête et (apparemment pas) évidente histoire de timing.


Ce film, assumant pleinement son sujet, aurait pu être un pamphlet politique engagé, qui mettrait en avant la corruption du système, le mépris d’une classe politique capitaliste qui parle d’humains en chiffres et ne marche qu’au résultat. Le film s’arrête au simple constat d’un abandon, n’en décrit jamais les causes, ne proposant jamais de solution ; la classe politique (toute incarnée par Valls dont on avait presque – et heureusement - oublié la voix) est veule, abandonnant ses fonctionnaires à une justice qu’elle ne maîtrise plus. Mais le simple constat de cette situation ne fait en rien de Bac Nord un film politique, et en démontre même l’immense vacuité et le décalage ; le film est vide puisqu’il résume les vilains au « préfet » qui veut des résultats et à des policiers qui sauvent égoïstement leur peau. Jamais il n’est fait d’analyse de quoi que ce soit dans ce film qui ne fait que montrer ses gros bras et se parer d’une instance dénonciatrice. S’en arrêtant à un constat béat et finalement bête, Bac Nord devient bête.


Le souci est qu’il fait de même avec son autre sujet central ; la misère des quartiers Nord de Marseille (le titre est intéressant tant dans ces deux mots mis face à face il oppose d’emblée la police et le quartier). Sans rien décrire, ni décrier, ni juger, il ne fait qu’éloigner la misère le plus possible de son spectateur pour mieux l’y plonger dans son aspect le plus spectaculaire, par des scènes de guerre, comme un argument putassier du plus mauvais effet, comme une attraction qui jouerait sur la peur pour exciter les passants. La misère des quartiers ne sera donc vue que par le prisme des policiers qui y interviennent, jamais par ceux qui y vivent. Cédric Jimenez tente de se justifier de la manière la plus ridicule qui soit en essayant de faire croire à son spectateur en la connaissance profonde de cette situation par les policiers héros qu'il met en scène. Le film ne cesse de nous hurler à grands renforts de symboles plus faciles les uns que les autres que ces flics « en sont aussi » ; ils mangent au kebab, font copain-copain avec ceux qu’ils contrôlent et qui leur servent d’indics, ne vivent pas loin des quartiers, fument eux aussi du shit ou des clopes du bled, gagnent eux aussi que dalle et sont méprisés par les puissants. Alors que ce constat pourrait être réaliste, son traitement est d’une maladresse absolue, ne faisant que confronter ces deux populations pourtant similaires.
La misère ne sera donc vue qu’au gré d’interventions policières musclées, filmées comme l’étaient les scènes de guérilla au lance-roquette de Le Royaume ou de Black Hawk Down, où les habitants sont résumés à une masse grouillante et bruyante, totalement anonymisée, et, summum de l’insulte, résumées à leur violence. On assistera donc ébahi à des scènes d’actions qui font d’humains des personnages de GTA qu’on pourrait tabasser, ou encore d’autres filmées comme des attaques de zombies, qui courent dans des cages d’escaliers et cognent sur les vitres de voitures, des zombies tout droit sortis de World War Z. Rarement une population n’avait été filmée avec tant d’irrespect et tant déshumanisation, faisant même de scènes au vrai potentiel des summum de ridicule (l’arrestation du mineur agressif et vulgaire qui ne se calmera qu’en entendant du JUL). Le spectateur se retrouvera donc coincé dans la première partie par une succession infâme de scènes filmées de manière jubilatoire qui accumulent les arrestations plus ou moins violentes et tentent de provoquer le rire, sur fond de musique rock.


Le summum du summum du ridicule sera probablement atteint lors de la séquence en prison où, parce qu’isolés, on ne verra que les policiers, qui se plaindront alors que "la prison c’est dur, qu’on y devient fou, que c’est impossible d’y vivre", eux-mêmes qui prenaient une joie certaine à accumuler les arrestations gratuites pour cacher leurs échecs dans d’autres affaires (la scène d’ouverture).
Le quartier, donc, n’est plus une zone de misère laissée à l’abandon des pouvoirs publics et des instances locales, mais une « zone de non-droit » où l’on y deale forcément, à grand renfort de kalash et de grand banditisme, et toujours avec des cagoules (ne prenons certainement pas le risque de donner un visage à ceux que l’on arrête), et où, lorsqu'on est policier, on risque d’y laisser sa peau (un enfant défendant sa mère avec un couteau devenant alors un nouvel ennemi).


On pouvait craindre que la forme esthétique impressionnante de Cédric Jimenez convainque et donc surpasse son sujet de fond et les horreurs qu’il y raconte. Malheureusement pour lui, la forme même de Bac Nord est ratée. Son rythme est étrangement lent et son film semble long, son intrigue est mal amenée, notamment par cet inutile flashback initial (et quid de ce carton d'ouverture qui nous précise que ceci est une fiction, mais qui à la fin donne un futur et une réalité à ses héros supposés fictionnels ?) , ses effets et ses symboles sont épuisants et convenus ; l’immersion et le sentiment d’action ne se résument pas à une caméra secouée et une image saccadée, l’émotion et le sentiment d’abandon ne se résument pas non plus à des ralentis poussifs sur fond de guitare pincée et de lever de soleil.
On ne ressentira donc une autre émotion que la rage face à cette catastrophe que lors des apparitions des seconds rôles féminins, sous-exploitées, où les actrices Adèle Exarchopoulos (perpétuellement excellente et grâcieuse) et Kenza Fortas (dont on se demande ce qui l'a poussée à accepter ce rôle) apportent une once d’humanité et de sensibilité et contre-balancent le ridicule accent marseillais de François Civil, les cris, poings sur la table, de Gilles Lellouche, et les improvisations ratées de toute la bande qui ne délivrent aucune once de réalisme ou d’émotion (simplement le regard de Karim Leklou qui, bon comme il est, saura toujours sans sortir).


Cette mise en scène qui se veut donc spectaculaire (et l’est parfois, reconnaissons-le, avec ses course-poursuites bien gérées, ses plans de grue qui volent puis rasent le sol, sa caméra en immersion et ses bourrasques sonores) tentent donc de noyer et de cacher la misère qu’elle prend pour terrain de jeu (et jamais pour sujet), et jongle avec le pire du pire des effets tapageurs, vulgaires, agaçants et malheureusement si communs qu’ils démontrent une fénéantise ou, pire, une absence de talent (ce qu’on avait déjà senti dans la mise en scène ampoulée des précédents films de Jimenez, qui réussissaient néanmoins à emporter leur spectateur).


En ayant voulu faire un Sicario à la française, Cédric Jimenez a tout simplement oublié de prendre le pouls de la société dans laquelle il vit, confondant les victimes, ratant le politique, manquant la finesse, et filmant ses personnages comme des cow-boys d’un jeu vidéo qui massacreraient des Indiens. Son film est honteux tant il semble ne pas comprendre là où il se trompe, tant il prend toujours le mauvais angle pour traiter (mal, en plus) son sujet et tant il semble mettre en image le pire du langage de l’extrême droite (laxisme, islamisation, « quartiers perdus de la République ») et surfer sur le "sentiment d'insécurité" pour titiller les bas instincts de son spectateur venu se faire peur et se rassurer ensuite, puisque cette misère restera toujours bien loin de lui. En plus de ses piètres qualités scénaristiques et formelles, Bac Nord est malheureusement donc odieux, se trompant sur toute la ligne et, voulant certainement bien faire dans son entreprise, fait en réalité probablement le pire.

Charles Dubois

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