La première séquence de Baccalauréat s’ouvre sur une ville décatie et lépreuse comme il semble y en avoir légion en Roumanie. Un tas de terre et de pierres occulte un trou dans lequel quelque s’affaire et jette des pelletées sur la chaussée, sans qu’on puisse le voir ni l’identifier. Au plan fixe suivant, l’intérieur d’un appartement laisse voir un divan déplié pour servir de lit.
Et soudain, la vitre est brisée par un jet de pierre.


Mungiu dissémine ses petits cailloux narratifs avec malice : certains seront expliqués (ce lit, notamment), d’autres, souvent les plus massifs, ceux qui cassent les parois vitrées, non.
Un climat de tension va donc prendre à la gorge le personnage principal, Romeo, médecin dont la quête ultime est de permettre à sa fille de réussir son bac pour pouvoir quitter le pays et faire ses études en Angleterre, l’Eldorado qui lui promettra un véritable avenir.


Un événement tragique va venir enrayer toute la mécanique savamment préparée pour la réussite, et imposer au père de famille un choix cornélien : recourir ou non aux « arrangements » qui sont la norme dans ce pays. Rivé à son personnage, Mungiu ne ménage pas ses efforts pour que le spectateur entre en empathie avec lui et soit entraîné à sa suite dans ses dilemmes. Après une exposition un peu didactique, démontrant que la corruption se situe absolument à tous les niveaux et dans tous les domaines, le cœur du récit confronte le père à la fille, et sa course folle en forme d’enlisement.


Tout est question d’énergie. C’était déjà le cas dans 4 mois, 3 semaines, 2 jours : accompagner un parcours, souvent en plans séquences, qu’ils soient mobiles dans les trajets ou fixe dans d’assez longs dialogues. Baccalauréat déplace le questionnement dans la sphère bourgeoise et semble dans un premier temps édulcorer les enjeux : il ne s’agit après tout que d’un examen. Si le film est effectivement moins poignant ou pathétique, c’est probablement pour universaliser sa thèse.
Il n’est en effet jamais aussi perspicace que lorsqu’il montre les mécanismes de la corruption, et ses origines modestes : on parle alors de services rendus, on n’évoque pas d’argent, et l’on explique bien de chaque côté qu’on est mal à l’idée d’y recourir. Tout le monde est d’accord : c’est immoral, mais c’est le pays qui veut ça. Employer les armes de l’ennemi pour mieux le quitter et s’offrir une nouvelle virginité, voilà qui semble acceptable pour Romeo, et qui l’impose à sa fille Eliza.


Vigueur, justesse du jeu, panorama social à petite échelle pour mieux comprendre ses grandes lignes : Baccalauréat est un film pertinent et souvent très intelligent.
Mais il joue sur les terres glissantes d’un autre réalisateur, qui, malheureusement pour lui, devient à son corps défendant un symptôme : Asghar Farhadi. A savoir : la surcharge narrative au profit d’une impasse morale visant à dérouter le spectateur. L’intrigue se double ainsi d’une maitresse potentiellement enceinte, d’une crise conjugale, d’une mère malade, d’un boyfriend qui pourrait se révéler suspect, le tout sous l’égide de la sacro-sainte gradation dévastatrice. Etait-il nécessaire d’à ce point noyer le protagoniste sur la route de la compromission ? La démonstration avait-elle à ce point besoin d’être appuyée (toutes les dix minutes environ, on nous sert un nouvel exemple de corruption ou de passe-droit par relations interposée) quand Mungiu dirige si bien ses comédiens, et propose une mise en scène aussi intense ?


Comme souvent, la thèse prend le pas sur le film. C’est d’autant plus dommage que c’est dans ses zones d’ombre (ce vandalisme muet dont il est victime, notamment) que le film se révélait le plus fort. Les traumas d’un pays n’ont pas besoin d’une dissertation sociologique pour être exprimés, et la longueur d’un film n’est pas nécessairement l’alibi d’un exposé exhaustif : le repas modeste de Sieranevada, autre film roumain sur un constat similaire – les ravages du passé sur la situation actuelle – en témoigne.

Sergent_Pepper
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le 7 janv. 2017

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