La sélection du Festival de Cannes 2015 comptait dans ses rangs quelques uns des plus beaux films de l’année, dont trois, ayant pour thématique le deuil, se détachent des tous les autres. Après « Valley of love » de Nicloux, « Mia madre » de Moretti, c’est au tour de « Back home » de sortir sur les écrans. Joachim Trier, très remarqué en 2012 avec l’impressionnant « Oslo, 31 août » confirme un exceptionnel talent à filmer l’intériorité du drame, plaçant le spectateur comme le témoin privilégié d’instants intenses, qu’il partage avec les personnages. Il ne néglige pas non plus cette mise en scène presque chirurgicale, à la limite austère, de son précèdent film, prompte à provoquer la suffocation tout en maintenant à vif l’attention.
Il est d’ailleurs intéressant de faire le parallèle entre le film de Moretti qui joue sur le circonstanciel (l’avant décès) et où les émotions brutes ressortent en tiroir et « Back home », reposant sur l’analyse, puisque axé sur le travail du deuil. En ce sens les deux films sont complémentaires. Mais là où Moretti distille chaleureusement les sentiments contrastés du manque à venir, des regrets, du temps qui passe, Joachim Trier discerne dans la mort une manière de régler ses comptes avec la vie, et surtout avec la défunte. Le père et les deux fils sont terriblement affligés, chacun à leur manière, et l’omniprésence fantomatique dans leur vie de cette mère, de cette épouse, plombe leur quotidien, entrave l’avenir.
Si l’on occulte une certaine tendance au maniérisme, et une sentiment de déjà vu (les interrogations d’Isabelle sont les mêmes que celle de Rebecca dans « L’épreuve » par exemple) on ne peut que s’extasier sur la construction même de « Back home » oscillant entre la pensée et le réel, dont la mise en images est particulièrement intense (visions de l’accident), profondes (échanges entre les frères, ou avec le père), voire carrément sublimes (la toute première scène sur le bébé, le très long gros plan sur le visage d’Isabelle). « Back home » est un film sur la douleur, celle de découvrir l’être aimé disparu tel qu’il était vraiment, et non pas tel que l’on voudrait qu’il fut. Il est avant tout un film sur le mensonge et la lâcheté, chaque personnage se voilant allègrement la face, pour ne pas déplaire, pour ne pas savoir, pour ne pas vivre. Le deuil génère toujours une envie de vivre, ou de revivre.
C’est tout cela que concentre Trier dans son film. Et s’il est aussi puissant, cela tient au choix et surtout au jeu des acteurs. Eisenberg, Byrne et Huppert apportent toute l’aura nécessaire à leurs rôles, mais s’il en est un qui se détache plus encore, c’est bien Devin Druid, il crève l’écran en adolescent perturbé, traumatisme que l’on perçoit jusqu’au moindre mouvement du corps.