Juste avant de répondre brièvement aux sirènes d'Hollywood avec sa version de "Body snatchers", Abel Ferrera livrait un de ses diamants les plus noirs, les plus bruts, plongée sombre et asphyxiante au coeur d'un New York putride sur le point de changer et surtout, portrait au vitriol d'un flic toxico en guerre contre un Dieu l'ayant visiblement abandonné.
Sur un script qu'il a imaginé avec Zoé Lund, figure tragique de l'underground et ancienne héroïne de son "Ange de la vengeance", Ferrara fait ce qu'il sait faire le mieux, montrer l'être humain dans toute sa rage, dans toute sa médiocrité et sa noirceur, balance à l'écran des hectolitres d'ordures en tout genre, ayant visiblement à coeur de confronter le spectateur à toute l'horreur du monde moderne.
Réalisé sans fard ni fioritures, d'un réalisme poussé à l'extrême (les scènes de shoot seraient authentiques, ce qui n'a rien de surprenant vu les problèmes de drogues du casting à l'époque) côtoyant une imagerie chrétienne et baroque inconfortable, "Bad lieutenant" permet à Ferrara de développer son obsession sur la religion, sur le mélange d'amour et de haine qui uni chaque croyant avec son idole et son supposé "créateur".
Prototype parfait du délire arty que l'on vénère ou que l'on déteste, peu facile d'accès et pouvant paraître nombriliste, "Bad lieutenant" mettra cependant tout le monde d'accord quant à la performance ahurissante de Harvey Keitel, plus vrai que nature en anti-héros borderline et ayant franchit la ligne depuis bien longtemps, pour qui toute rédemption semble désormais impossible. Rien que lui et pour sa prestation hallucinée, le film de Ferrara mérite le coup d'oeil.