Beaucoup d'esthétisme, peu de justesse

Les critiques émises à la sortie du film de Sciamma m'ont marquées par leur angle souvent politique. A rebours des articles s'enthousiasmant de voir des personnages noirs – et féminins – à l'affiche, une première catégorie de reproches déplorait le contexte dans lequel ceux-ci sont mis en scène, c'est à dire dans le sempiternel cadre de la banlieue miséreuse, manifestant qui plus est des attitudes violentes. Si je comprends, respecte et soutiens dans une certaine mesure les raisons fondant ce type de critique, je considère qu'un artiste est libre de créer sans prendre en compte l'impact, même négatif et malheureux, que son œuvre aura sur la perception du public et sur la représentation globale d'une partie de la population. Ce n'est donc pas ce qui a déterminé mon avis sur le film.


Une seconde série de reproches, dans laquelle je me retrouve cette fois, s'attaquait à la manière distante, esthétisante et fantasmée dont la réalisatrice filme et appréhende ses personnages. Bien sûr, je me répète, un artiste n'a pas d'obligations sociologiques et peut figurer la réalité selon ses propres représentations fantasmées si cela lui chante. J'admets avoir un certain goût pour le naturalisme et la tendance quasi-documentaire, mais je sais bien que le cinéma n'est pas la vie. Il y a toujours une part de lyrisme, d'invention, il y a toujours des choix de mise en scène. Mais encore faut-il que la représentation d'une réalité sociale portée à l'écran parvienne à former un tout intelligent et abouti...


Je n'aurais pas reproché à Sciamma son attention à la forme, ses fantaisies scénaristiques ou l'absence de recherches de terrain sur le thème qui l'occupe (qu'elle mentionne dans des interviews) si son film avait été capable de construire un univers prenant et sincère, de mener une histoire cohérente et travaillée et surtout de dresser un portrait juste des personnages. Ce n'est pas le cas. Les personnages ont peu d'épaisseur – même l’héroïne, Marième/Vic, que l'on est pourtant censé suivre de près. Son évolution psychologique et les relations entre les différents protagonistes sont figurés artificiellement, à travers des scènes se voulant significatives de ceci ou cela, qui s'accumulent comme un patchwork décousu. L'histoire n'en est pas une, ce n'est qu'un prétexte au déploiement d'une esthétique (oui, la photographie est jolie, mais franchement ce n'est pas suffisant) et d'une atmosphère (qui, selon moi, ne prend pas). Et pourquoi tomber dans la dramatisation excessive de la deuxième partie du film alors que la base du récit n'a même pas été correctement explorée ?


En somme un film peu maîtrisé et peu subtil, qui sonne faux, esthétique mais vide. C'est dommage, le sujet avait du potentiel et les relations entre les personnages auraient pu devenir vraiment intéressantes si elles avaient été mieux développées. La B.O. est belle et je reconnais une certaine grâce à la scène sur fond de Rihanna. Voilà.

Jehol
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le 26 sept. 2015

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