Le Miroir
Avec Barbara, Mathieu Amalric s’échappe d’une écriture linéaire et décale le genre du biopic vers des sphères plus spectrales et éclatantes. Alors que Jeanne Balibar incarne les traits de la...
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le 10 sept. 2017
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En plus d'être ma chanteuse préférée, Barbara était aussi une femme incroyable, sombre et torturée comme ses magnifiques chansons l'attestent. Elle fait partie, avec Brel pour ne citer que lui, de ces artistes dont le vécu est indissociable de ce qu'ils créent : sa vie est sa musique, et sa musique est sa vie. Écouter les titres de Barbara, malgré les émotions que ses accords peuvent susciter à eux seuls, est une expérience qui prend une tout autre dimension lorsque l'on connaît un peu mieux sa vie. Une vie d'une profonde solitude malgré les innombrables rencontres que la vie d'artiste lui a fait faire par la force des choses. Mais un perpétuel vertige de nostalgie, un attrait pour la mort et la couleur noire, un besoin de se retrouver seule pour écrire et jouer du piano : Barbara a toujours été connue comme cela, comme une femme mélancolique que la tristesse aurait choisie pour hôte. Pourtant, à écouter ses albums en profondeur, son œuvre ne se compose pas que de chansons déprimantes (même si celles-ci sont souvent les plus touchantes, donc les plus connues).
Dès lors, avec un personnage aussi imprévisible que Barbara, à l'esprit si mystérieux, à la parole effrénée comme pour mieux cacher sa fragilité : comment parler d'elle avec justesse ? C'est là que Mathieu Amalric est très fort, car faire un biopic classique n'aurait pas fonctionné. Cette femme paraît si impénétrable qu'on ne peut projeter sur elle qu'un regard extérieur de spectateur, de réalisateur fasciné. L'idée de faire un film sur "qu'est-ce que c'est que faire un biopic sur Barbara" permet d'éviter cette intrusion : grâce à cette ingénieuse mise en abîme, Barbara n'est jamais là directement (hormis lors des séquences d'époque), car Jeanne Balibar n'est jamais pleinement Barbara : elle est Brigitte qui tente d'être Barbara. Du génie. Tel un mythe ou une divinité, cette femme est invisible : il s'agit alors de donner l'illusion qu'elle est là. Faire un anti-biopic (pour reprendre le terme très juste de @Batmanarchiste), c'est ainsi ne pas avoir la prétention de demander à une actrice de devenir Barbara, mais c'est avoir la modestie de lui demander d'y tendre du mieux qu'elle peut, mais en gardant toujours cette distance, ce gouffre infranchissable qui sépare la personne du personnage. C'est en cela que les scènes où Brigitte apprend à jouer Barbara sont si précieuses : Brigitte ne parvient jamais à être totalement Barbara, elle ne peut faire autrement que d'ajouter de sa personne, tout comme Jeanne Balibar ajoute de sa personne au personnage de Brigitte. Mieux qu'Inception, en fait.
La grande réussite du film tient dans son montage, en plus du jeu d'acteur impeccable. Amalric alterne entre images d'époque et reconstitutions de ces mêmes images (avec des acteurs très ressemblants, dans les mêmes lieux, avec les mêmes objets, les mêmes phrases, les mêmes intonations, ...), en jouant volontairement avec tout ce que le cinéma lui offre : parfois, on voit la vraie Barbara avec la voix de Jeanne Balibar ; et puis entre-temps quelques secondes de Brigitte en train de jouer Barbara se sont insérées, mais avec la voix originale derrière. Bref, l'intention du réalisateur est de nous brouiller, de nous faire croire que l'actrice et la chanteuse deviennent petit à petit la même personne, si bien que parfois on ne sait plus si l'on est en train de regarder la vie de Brigitte ou celle de Barbara. On se fie aux petits détails comme les téléphones portables ou les voitures pour se dire qu'on est plutôt dans les années 60 ou non. Mais qu'importe en fin de compte, on suit l'écoulement de ce qui nous est donné à voir et à entendre, comme les passagers d'une barque un peu branlante, au milieu d'une rivière et porté par le courant des notes de piano.
Je dois dire que certaines scènes sont particulièrement saisissantes. Les scènes entre Barbara et Brel, évidemment, mais aussi les séquences où Brigitte répète son rôle. Je pense à la reprise de Nantes au piano dans le café d'une aire d'autoroute, où c'est bien Brigitte qui est à l'écran, à un moment où elle ne joue pas Barbara mais qu'elle n'est autre qu'elle même. Et pourtant, les émotions sont aussi vraies que si la chanteuse était là. Magnifique.
Finalement, Mathieu Amalric donne une leçon d'humilité qui témoigne de son admiration, tant pour la Dame Brune que pour Jeanne Balibar. Ceux qui voulaient tout connaître de la vie de la chanteuse n'y trouveront pas leur compte, car presque rien n'est dévoilé à son sujet. Le film n'y prétendait pas de toute façon. Un dernier mot sur le personnage du réalisateur du biopic, joué par Amalric lui-même, qui sonne tellement vrai qu'on ne peut pas imaginer que ce ne soit pas ses émotions à lui. C'est aussi pour cela que ce film est si beau, parce que l'on sent que les acteurs donnent toute leur personne pour leur rôle. Un grand film pour les amoureux de la Dame Brune, mais aussi pour ceux qui aiment la musique et le cinéma : de ce côté-là, on est servi aussi.
Un film qui parle du bout des lèvres, en nous touchant du bout du cœur.
https://www.youtube.com/watch?v=KzRQYNN7_BA
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le 7 sept. 2017
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