Une vie en chansons

Que mon attente fut insoutenable. Barbara, une envie enfin assouvie qui illustre, une fois encore, le talent que possédait cette exceptionnelle chanteuse. C'est durant l'été que je l'ai visionné en avant-première au SoFilm Summercamp de Nantes, ville éponyme de l'un des morceaux les plus beaux de Barbara.

Amalric revient ainsi frapper à grands coups de notes nos yeux et nos oreilles. Ce film agissant comme un miroir de biopic est la perle de cette rentrée. Pourtant il est vrai que tout n'était pas gagné, un biopic sur Barbara avait de quoi faire peur, et tout aurait pu passer à côté... Mais à la place, Mathieu Amalric a justement trouvé les moyens pour taper dans le mille du sujet : faire s'entremêler la vie de son film avec celle de la chanteuse. Je vais tâcher d'expliquer pourquoi ce long métrage est une véritable réussite, due à ses choix assumés à la perfection.

• Vous faites un film sur Barbara ou vous faites un film sur vous ?


• C'est pareil.

L'icône de la chanson française est interprétée par la fantastique Jeanne Balibar, une femme dotée de multiples talents qui font d'elle l'une des seules comédiennes qui, à mes yeux, était réellement capable de "faire Barbara". Elle fut la femme d'Amalric lui-même, avant d'être avec Philippe Katerine puis d'être seule. Balibar est une actrice qui a joué dans plus d'une quarantaine de films, ne parlons même pas de ses pièces de théâtre, elle chante également et a sorti deux albums magiques... en clair, un beau curriculum vitae. La voix quelque peu nasillarde, un corps allongé qui se dresse comme la cime d'un arbre, un regard mélancolique et perdu, des mains qui se tendent comme des ailes, nous retrouvons la vraie Barbara.

La caméra et les plateaux de tournages se joignent aux personnages et aux images d'archives absolument émouvantes. Amalric nous sert un buffet somptueux de langue française déclarée du bout des lèvres, ainsi que des portraits charismatiques en quête d'amour et de souvenirs. Ce bal d'interprètes expérimente ; ils sont à la fois eux-mêmes et leurs personnages, ils se tournent autour, se confrontent, s'épuisent, et se laissent parfois mourir. Nous les écoutons avec admiration du début à la fin, s'échanger passionnément leurs répliques, écrites de la plus belle plume qui soit. Les chansons émergent, puis c'est l'émotion, les larmes, la déraison.

Je n'ai jamais eu aucune imagination. J'ai écrit petitement, avec ma petite vie de femme, de chaque jour. Avec mes drames, avec mes morts, avec mes amours, déchirées, heureuses. (1970)

L'immense oeuvre que nous a laissé la véritable Barbara est un tumultueux autoportrait de femme, sombre et mystérieux à la fois. Elle nous fait du bien et nous étouffe en même temps par ses innombrables accords, son débit de parole, son caractère de chien. C'est une femme qui raconte sa vie avec force, tant de force que nous sommes obligés d'y croire. Elle se pare de multiples visages tout au long des expériences de sa vie, mais reste maquillée d'un blanc pâle et aérien. Amalric et Balibar ont tout compris... le poids de chaque mot, sa gestuelle, son attitude, ses caprices et sa lassitude. Tous les problèmes se règlent sur scène, intensément, devant nos yeux écarquillés par sa beauté. Barbara est un film issu d'un travail d'historiens, avec la musique au cœur de l'ensemble. C'est finalement l'histoire d'une femme qui nous échappe, qui n'est pas palpable car elle ne peut être atteinte du bout des doigts que par ses chansons.