L’ « anti-biopic » cessera bientôt de porter ce nom, tant il devient fréquent lorsque les cinéastes un tant soit peu ambitieux s’attaquent à brosser le portrait d’une personnalité. Durant la quinzaine cannoise, la France nous a ainsi offert Barbara par Amalric et Godard par Hazanavicius dans Le Redoutable. Deux figures de proue, deux êtres excentriques et tout entiers pétris de fiction : pour aborder ces légendes consentantes à leur propre mythe, il fallait tous sauf la linéarité ou l’hagiographie.


Amalric s’attelant à Barbara, qui plus est lorsqu’on est peu friand des mélopées mélancoliques de la chanteuse, voilà un projet franco-national qui avait de quoi refroidir bien des ardeurs. On sait le malin plaisir qu’a l’acteur réalisateur à jouer des ruptures, de l’expérimentation et d’une écriture fragmentaire. Son dernier passage très complice et complexe chez Desplechin en témoignait, jusqu’au découragement du spectateur.


Finalement, en dépit des vertiges qui construisent ce parcours à tiroirs, c’est la simplicité qui l’emporte : celle de l’admiration fanatique d’un cinéaste joué par Amalric lui-même pour son sujet, et pour la comédienne qui lui donnera chair.


Certes, la sophistication est ambitieuse – et surtout moins superfétatoire qu’elle ne pourrait paraître. En jouant de la mise en abyme, des différents niveaux de récit, le portrait est une galerie des glaces particulièrement vertigineuse. La deuxième séquence, qui voit Barbara et sa mère est assez longue pour nous faire oublier qu’un clap avait commencé par signaler qu’il s’agissait d’une scène tournée sur un plateau : le spectateur largue les amarres et s’embarque, avant qu’on ne revienne brutalement au récit premier. Cette logique de la rupture de ton fonctionne parce qu’elle ne parvient jamais à rompre le charme : Brigitte, le personnage de Jeanne Balibar, est toujours aussi fascinante lorsque la caméra cesse d’enregistrer, parce que le travail d’imprégnation qui est le sien poursuit le portrait de la chanteuse de façon bien plus émouvante que l’aurait été une banale biographie des temps forts de sa carrière. L’esthétique elle-même est plurielle : film au glacis classique, concert filmé, archives des années 70 reproduites avec un réalisme plus vrai que nature, projections de films réels de Barbara ou de rushes du cinéaste en abyme : tout se mélange, se répond, dans une confusion qui a tout du sortilège.


Amalric tient un sujet d’une richesse infinie, et a toute les chances de s’y briser les dents. Autant, dès lors, faire du fragment un moteur de son esthétique. Barbara est insaisissable, elle traverse le temps, se livre sans jamais se dévoiler totalement, échappe autant qu’elle bouleverse.
Il faut, bien entendu, saluer le travail phénoménal de Jeanne Balibar, dont la prouesse déborde largement celle de l’identification. Sa subtilité permet une ascension du sommet par des voies d’accès dérobées, avec une malice qui dit le fantasque de la chanteuse comme la jubilation de la comédienne marchant sur ses traces.


Tous ces entrelacs finissent par converger : il n’y a aucun intérêt à tenter de garder le cap, à déterminer les différents niveaux de récit ou de temporalité, la véritable Barbara ou son double, Balibar ou Brigitte pour appréhender la partition modulatoire d’Amalric. Cela ne ferait qu’accroitre les menus risques d’agacements sur certaines séquences, ou la longueur parfois ressentie face à d’autres. Face à ce sujet vertigineux qu’est Barbara, le cinéaste et la comédienne se sont perdus ; en résulte ce film, qui n’est rien d’autre que leur invitation à les rejoindre dans ces limbes profondément émouvants.


(7.5/10)

Sergent_Pepper
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le 11 sept. 2017

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Sergent_Pepper

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