Il ne s'agit pas de la peinture tragique d'un homme miné par l'alcoolisme mais une chronique dans laquelle l'amour côtoie le génie, l'humour et la création artistique, une dérive de 2 piliers de bar qui hantent les nuits opaques de Los Angeles, une déambulation éthylique d'un roi de la beuverie qui boit et reboit jusqu'à l'anesthésie, quand il ne se bat pas comme un chiffonnier avec une brute de barman. Adoptant une noirceur et un ton désespéré, ce film est quasiment autobiographique puisque le personnage principal, Henry Chinaski n'est autre qu'une projection de Charles Bukowski, écrivain saoulin notoire, qui a écrit le scénario et qui relate ses propres errances nocturnes dans les bars miteux de la banlieue de Los Angeles. L'alcool est la seule échappatoire qui lui reste pour fuir la société américaine conformiste.
Il émerge parfois des vapeurs embuées pour écrire des pages belles et tourmentées, mais il gâche tout lorsqu'il retombe dans ses travers, avec ses provocations d'ivrogne. Ainsi, il étale son univers glauque de poète maudit, et Mickey Rourke dont le rôle semble avoir été écrit pour lui, adopte un look de poivrot à l'hygiène douteuse et aux cheveux poisseux, livrant un numéro sensationnel alors qu'il était dans sa période la plus féconde en rôles costauds.
Face à lui, Faye Dunaway dépouillée de tout maquillage, brisée par la vie et rattrapée par des démons, est parfois touchante. L'auscultation de ces 2 êtres paumés et de cette faune de marginaux de l'Amérique, les exclus du rêve américain (qui rejoignent un peu les clodos de L'Epouvantail) usés par la vie, est plutôt froide et clinique de la part du réalisateur Barbet Schroeder, et l'utilisation par son chef-opérateur d'éclairages blafards, recrée parfaitement les bars miteux, mais ce regard froid est compensé par un humour cocasse qui dynamite ce que le film pourrait avoir de tragique et de sordide. Une dérive pleine de tendresse portée par un duo de stars exceptionnel.