15 mai 2000, 16h16


Sur le parvis du célèbre cinéma « Le cri de la tique », 16 silhouettes affûtent leurs sens. Le goudron bouillonnant brûle leurs semelles et chacun a revêtit la chemise la plus à même de valoriser sa toison pectorale. On entend par-ci par-là des railleries sur l’organisation de la sortie et sur son organisateur, mais aussi de nombreuses allusions à un apéro qui doit avoir lieu le soir-même, un truc mémorable à ce qui parait. Fatigués de danser pour ne pas perdre leurs petons, les chroniqueurs indépendants pénètrent finalement dans le vestibule mythique tandis que l’un d’eux – Martin L. Ducul – abandonne sa fin de cigarette au trottoir.

« Bonjour, 16 places pour Barking Dog Never Bites » lance Guy Ness, le plus petit de la bande, avec un accent que nous qualifierons de « très français » pour ne pas le moquer.

L’imprimante crache 16 petits coupons.

« 144 euros s’il vous plaît. »

Guy saisit la bouteille de Pastis qu’il avait soigneusement disposé dans sa poche arrière et assène un coup fatal au guichetier. Il se justifiera plus tard auprès de la police en jurant, parole de marseillais, que ce dernier tentait de lui soutirer des milliers d’euros.


Un brouhaha où se mêlent rires, larmes et larmes de rire détale alors dans le couloir menant à la salle 8 écrasant sans pitié une vieille dame et son chien qui passaient par là. Tous s’installent sauf le silence qui peine à trouver une place, la lumière s’éteint.

Durant la séance, on ne dénombra qu’un seul incident mineur : Rob Hewenzeig, un gros type qui semblait sorti de nulle part, se coupa avec le coin supérieur gauche de son pot de popcorn sucré. M’enfin passons.

L’apéro du soir fut finalement à la hauteur des attentes exprimées dans la journée, non pas par son festoiement grandiloquent, mais par un étrange évènement.


[Flashback (en noir et blanc)]


Rob Hewenzeig : « La musique messieurs, la musique était on ne peut mieux utilisée, vous ne trouvez pas ? »


Flavee Djenec , la pupille dilatée : « Venant d’un mec qui s’envoie en l’air avec du Renaud… »


Nevil Horte : « Calme la marmaille, calme. On est ici pour causer cinéma. »


Flavee Djenec : « Cinéma ? Ma parole, rigole. Ce film vole bas, rebelote, de rechef, coréens vauriens ! »


Zena Li : « J’ai apporté la cassette de Retour vers le futur, je vais aller mettre Flavee au lit, il divague avec ses petits yeux. »


Flavee Djenec : « Chef-d’œuvre à l’œuvre ! La bise en chemise !»


Guy Ness : « Bien, nous pouvons désormais vaquer en toute tranquillité à nos pirouettes morales, je suis pour dire que ce Joon-Ho est un grand réalisateur en devenir. »


Pepe Tregrens : « Toujours dans la démesure toi. Cela s’inscrit dans tout ce que l’on a pu voir du cinéma coréen ces derniers temps en tout cas, un pitch à l’image de la société dans laquelle il prend pied. On retrouve les coréens tout entiers consacrés à leurs petites traditions, à leurs folies orientales. »


Fanie Slec: « Moi je comprends très bien Guy. Parce que non content d’être une belle toile sur la forme, le film se pare d’un fond intéressant. En fait, si vous avez bien observé, on a une sorte de chaîne de l’intérêt inassouvi. L’homme tente de croquer le chien qui ne désire pourtant que l’intérêt de l’homme, la femme casse les noix de l’homme qui ne convoite pourtant que l’amour de cette dernière, et la société tient en muselière les êtres qui n’espèrent que son acceptation. »


Rob Hewenzeig : « On n’est pas ici pour entendre tes déconvenues conjugales malheureusement… »


Zena Li : « Bon, Rob, avec Flavee ! »


Sam Khou: « Oui, l’équipe a encore fauté quant à la définition du genre du film, il y a une grande part de drame social dans cette œuvre. Une critique de la corruption et une étude acide de la quête de célébrité semblent se profiler parallèlement à la comédie. C’est un drame doux, sans misérabilisme, élagué de tous les rameaux de pleurnicherie inutiles dont il aurait pu se doter. »


Zoro Nao : « Ce n’est pas si dramatique que ça finalement, les situations sont souvent absurdes et… »


Rosi Mornn : « Et alors ? Qui rit de l’absurde dénonce l’absurdité. Si Joon-Ho dresse un scénario loufoque, c’est bien pour montrer que payer pour une réputation est une chose insensée et que chercher à faire le bien uniquement pour la gloire est inutile. »


Nevil Horte : « Enfin c’est beau de dénoncer la corruption et Joon-Ho le fait admirablement bien. Mais la corruption est un mal commun, corrélé au caractère humain. Donc ce n’est pas en mettant en scène des personnages aussi spéciaux que l’on fait des généralités, je ne pense pas que la critique soit le principal objectif. »


Pepe Tregrens : « Certes mais je suis sûr que ce réalisateur sera capable de plus subtiles critiques dans le futur. Et les personnages que tu qualifies de spéciaux ne le sont pas réellement, c’est le contexte qui est quelque peu décalé dans une société qui semble rythmée par les aboiements. Joon-Ho file l’hyperbole en exagérant tous les vices pour mieux les exhiber, c’est intelligent. Les acteurs campent bien leurs personnages et agissent avec égale exagération vis-à-vis de ce qui les entoure. »


Cette soirée de coréenneries avait eu un effet stimulant sur la troupe, jamais on avait vu 16 têtes aussi fumantes. Cependant, le débat fut interrompu (aussi passionnant soit-il).

Des aboiements se firent entendre à quelques pâtés de maisons. Des chiens semblaient hurler des chiffres, des codes. Si on m’avait demandé, j’aurais estimé qu’ils étaient une quarantaine et, Dieu sait pourquoi, nous nous mîmes à nous métamorphoser. Si je peux vous raconter cela, c’est que mes propres crocs ont poussé, comme ceux des 7 autres disparus. Force est de constater que Joon-Ho ne laisse point indifférent, j’annonce que le prochain apéro devra se faire à 8. Et on y assistera de loin, avec un plaisir non feint, de canin à humain.


Santé.

Critique écrite dans le cadre de la coupe Senscritique organisée par l'honorable Guyness.

La critique de Sergent Pepper, qui mérite bien plus la victoire qu'il ne le pense: http://www.senscritique.com/film/Barking_Dogs_Never_Bite/critique/33124427

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le 19 mai 2014

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Deleuze

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