Le dixième long métrage de Stanley Kubrick - l'intitulé Barry Lyndon - est un authentique chef d'oeuvre du Septième Art qu'il n'est aujourd'hui plus véritablement besoin de présenter sur ces plates-formes. Monument incomparable à tout autre Barry Lyndon est une Splendeur picturale absolument ravissante jalonnée de plans à la texture massive, huileuse et flamboyante ; plans composés à la manière d'un Gainsborough se succédant au rythme resplendissant d'airs folkloriques irlandais, de violons et de flûtes ou de tambours militaires, de fanfares annonçant quelques cavaleries : duel équitable entre images et sons, la bougie annonçant le refrain, le pistolet annonçant la corde frottée, la carte à jouer annonçant le silence.
Entre Schubert et Mozart, Haendel et sa Sarabande obsédante, quasiment métronomique et la musique de chambre Barry Lyndon s'écoute autant qu'il se contemple. L'Oeuvre, de ses trois heures empreintes de merveilles esthétiques coule lentement et inexorablement vers la chute de son héros éponyme, pathétique arriviste au destin tragique, funeste et mortifié. Il est question d'honneur, de fourberies et de duplicité identitaire, de naïveté annonçant par l'entremise d'une voix-off sarcastique une terrible absence de scrupules, un cynisme lénifiant mais aussi une mélancolie bouleversante, un trio mezzo-piano aboutissant à l'un des plus beaux baisers de l'Histoire du Cinéma : Ryan O'Neal effleurant les lèvres de Marisa Berenson, moment nocturne inoubliable et lancinant jouant de ses notes à pas chassés, de ses cordes pulmonaires et de ses attentes nuptiales ; moment filmique incroyable arrivant au coeur du métrage, superbe écrin d'un personnage voué fatalement à la misère la plus notoire, à la perfidie puis aux mauvaises manières, à l'amour puis à sa perte.
Avec une logique échiquéenne implacable Kubrick réalise Barry Lyndon sous le signe du champ de bataille. Symétrie des décors, des châteaux et des jardins ; séquence de combat en forme de quadrilatère rouge et blanc, bagarre intégralement filmée sans musique, au seul son des coups et des poings, avec une caméra en alerte pour l'occasion ; alignements de soldats, armée de fantassins mais également forteresses et chevaux. Le film est d'une construction technique et esthétique ahurissante, montrant ses ravissants costumes et ses somptueux paysages, ses fontaines et ses étangs avec une minutie redoutable... Impossible alors d'y voir une quelconque analogie avec un autre film de Stanley Kubrick, tant Barry Lyndon semble avoir été réalisé avec une volonté cherchant à éviter l'amalgame parmi la filmographie du maître. Une véritable pièce maîtresse.
Nous pourrions nous perdre de longs moments dans ce tourbillon de couleurs au rythme calme mais émouvant, dans ces peintures pleines de raffinements et dans ces valses guillerettes, dans ces allées parsemées de fleurs ou de feuilles, dans ces moutons et ces chevaux ou encore ces intérieurs éclairés à la lumière d'une chandelle, au gré d'un groupe de gradés ou d'un sein séduisant. De sifflements en bruits de tambours les cavaleries annoncent quelques étrangers, des voleurs quand ce ne sont pas de terrifiants comédiens de la Haute Cour, jouant à renfort de masques. Barry Lyndon, réalisé en 1975 par l'inégalable Kubrick est sans nul doute l'un des films les plus impressionnants de la Création, formidable objet de convoitise s'achevant sur le paraphe de la belle Lady Lyndon... Unique.