C'est souvent difficile d'écrire quelque chose sur un film qui laisse bouche bée, on a l'impression un peu comme Barton Fink dans le film, qu'il y a un monde de choses à dire, mais qu'on est pas capable de savoir lesquelles sont en adhésion avec nous même. Le quatrième film des frères Coen a cette étrange aptitude à être évidemment personnel mais tout à la fois s'ouvrir à chacun. Chacun peut y voir à peu près ce qu'il veut, en cela c'est une œuvre de cinéma dans ce qu'elle a de plus accompli mais en même temps, Barton Fink est une évidente œuvre absolue, qui confronte les idées qu'il évoque à leur jusqu'au-boutisme, que ce soit une renaissance ou la fatalité de leurs appropriations.


Dès lors il s'agit de voir que Barton Fink se construit sur deux axes associés dans la structure narrative et qui sont complémentaires dans la réflexion des Coen : le premier est celui de l'art, au sens parnassien, l'art qui n'a d'autre but que lui même ( l'esthétique ) et d'autre part l'histoire qui prend une dimension ici tout à fait originale car indissociable d'un contexte d'après guerre nourri de doutes, de troubles, d'espoirs et de déceptions. L'évolution de l'art, et finalement l'évolution de l'imaginaire collectif qui a subit les traumas de sa remise en question est une sorte de syndrome de réhabilitation qui tente de ressouder une identité autour d'idéaux communs. Or, et c'est le constat affligeant de Barton Fink, l'identité américaine n'a jamais existé autrement qu'en opposition à une autre, la vision rétrospective du film ( qui date 1991 ) englobe même de ce fait la construction d'une nouvelle identité par antagonisme vis à vis de celle proposé par le communisme.


Le personnage de Barton Fink apparait comme cet américain moyen, qui part le travail a acquis une certaine notoriété, mais il est aussi et surtout la preuve que le système libéral ( triomphe de l'individualité ) est un leurre où l'individu est en fait soumis au passé d'un collectif national, qui bien que multifacette, est uni par ses hantises et ses espoirs. Barton Fink est une sorte de client parfait pour le maccarthysme grandissant, un homme auquel on jure qu'un mal est remplacé par un autre. C'est dans cette optique qu'on comprend mieux la place de l'art et de l'artiste dans le film. Reconstruire une identité c'est un travail de l'esprit, de l'imaginaire, la "feuille blanche" n'est pas autre chose que le symbole de cette immense tâche qui incombe à un individu finalement commun ( "the common man" ) auquel on demande de s'adapter ( son art et finalement lui même ) à un nouveau contexte, comme son pays doit s'adapter à l'ère nouvelle dont il se veut parrain mais dont il est aussi victime ( car dépassé par elle ).


Pour l'écrivain l'adaptation est le passage d'un univers de dramaturge, élégant bien que populaire, à celui de scénariste de série B aux ordres d'un producteur véreux et avide; pour les États Unis, c'est le passage d'un modèle de lutte pour le droit à un modèle de consommation outrance dans une optique de confrontation idéologique. l'interprétation de John Torturro est impressionnante en cela qu'elle cristallise autour d'un faciès et d'un comportement, une désorientation chronique propre à un siècle d'extrêmes. C'est en fait la mutation système dans son ensemble qui est condamné, ses dérives voire ses déviances, son irrationalité qui le condamne à une âpre déchéance. L'alcoolisme d'une star hollywoodienne dans le film dont Barton Fink, fan de la première heure, ne peut se résoudre à voir succomber, participe à la transition du personnage central; et finalement son admiration transverse vers la femme de cet homme. il est intéressant de voir que le seul acte immoral de la part de Fink, l'adultère, se traduit par une sanction immédiate, celle de sa possible culpabilité et le remord qui l'accompagne.


Inséparable de son encrage historique, la force du film est tout de même d'arriver à le transcender, à faire de Barton Fink tout à la fois le symbole de ce changement radical de perception, et la figure symptomatique de la brutalité avec laquelle s'effectue le changement. Au final la place de l'histoire est engloutie par l'essentialisme du film et ne fait plus figure que de représentations mentales, bien plus que de caricatures modelées. Le style est à l'image de l'hôtel, miteux, imprécis, vague, étrange, irréel. Un espace clôt qui semble pourtant ouvrir à un univers de pensée, de conception fuyantes mais criantes. Pourtant Fink ne semble pas y trouver son inspiration, il lui faut le regard nouveau de son voisin de chambre Charlie, qui chaque jour lui fait part de nouvelle idée qui lui ont traversé l'esprit. C'est par leur rapport que le personnage de Fink évolue, il ne pouvait pas évoluer par lui même, tout comme l'art ne peut pas évoluer sans le monde qui l'entoure. La fin du film semble vouloir assombrir la lecture, mais finalement elle en est l'insondable parachèvement. L'hôtel délabré prenant feu en même temps qu'on apprend la vérité sur un personnage central du film, apparait paradoxalement comme une résolution, un aboutissement mais également comme un nouveau drame, celui d'une tromperie que Fink n'a pu discerner dans l'étrange personnalité de Charlie. La mystique boîte ( qu'on retrouvera chez Fincher quatre ans plus tard ) est le symbole de toute cette interpénétration entre idée et accomplissement, c'est la clé du drame mais la clé de sa résolution, la réponse au meurtre et le nouveau questionnement quant à l'inspiration qu'il apporte à l'être irréprochable qu'est Barton Fink. Qu'il raconte la sordide histoire de ces personnages ou qu'il partage sa vision de l'art, le film assure toujours la prépondérance des sens sur le sens.


C'est quand on croit que tout d'un seul coup peut se coordonner pour faire sens, que nos sens nous piègent et délite le réel vers le rêve. La toute fin semble s'apparenter à la victoire de l'imaginaire sur la concrétisation, la victoire de la muse sur l'œuvre qu'elle a inspirée, car tout ce qui est concret, tout ce à quoi on peut se rattacher n'est finalement comme l'environnement handicapant pour Barton Fink que l'image d'idéaux désacralisés par une réalité bien trop abrupte, corrompue par le triomphe de la matière sur l'esprit. Le génie du film est d'avoir su allier la réflexion à l'application, l'inspiration à la concrétisation dans un tout indissociable totalement désemparant de facilité et de richesse. D'autant plus renversant qu'il se permet d'expliquer une mécanique de l'esprit point par point, de servir d'exutoire à cette formulation de la pensée mais sans jamais la justifier. Il est l'antithèse de sa propre thèse, une question dont la réponse et la même question reformulée encore et encore.


L'aboutissement dans le film étant l'accès ( réel, fantasmé ? ) à la muse tant vénérée, dont l'apparition est la preuve que plus qu'un moyen, celui de l'inspiration, chaque chose et avant tout une réalisation en tant que telle, dont la beauté doit se conquérir par l'esprit . Une sorte de disserte de surdoué qui ne se donnerait pas la peine d'apporter les preuves à la brillante démonstration qu'il accomplit, Barton Fink pourrait facilement être qualifier de film concept, d'essai, peut être qu'il faudrait aller chercher davantage à la page génie. Un chef d'œuvre absolu qui force l'admiration.
Heisenberg
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le 13 mai 2012

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