Un vrai, beau et parfait serpent venimeux

Pour tous ceux qui aurait découvert la sexualité vue par Verhoeven avec "Elle", "Basic Instinct" se révèlera autrement plus ébouriffant : encore plus léché, encore plus chirurgical, encore plus angoissant et outrancier. C'est aussi une façon de constater que le cinéaste s'est plutôt assagi depuis les années 90 : avec Isabelle Huppert, beauté glacée et renfermée, la sexualité restait interne. Avec Sharon Stone, la Brigitte Bardot Yankee, on a droit à de la sexualité tape-à-l'oeil, exposée à tous les regards. Pour le délice des personnages comme du spectateur. Car Catherine Tramell, femme fatale au sens plein du terme, a tôt fait de nous démontrer ses capacités à séduire n'importe qui, tous sexes confondus. Le pic à glace, qui est (ou semble) son arme de prédilection, résume tout ce qu’elle est : une femme froide, a priori sans affects, qui déchire quiconque s’aventure à la connaître charnellement. Mais bien sûr, impossible de l’inculper directement : comme toute beauté vénéneuse qui se respecte, elle sait brouiller les pistes, apparaître aussi bien comme une victime vulnérable que comme une dangereuse prédatrice.


Mais plus généralement, le film ne vole pas sa réputation culte : si Sharon Stone est évidemment pour beaucoup dans la fascination collective qu’il exerce, c’est aussi pour d’autres plaisirs que le public s’est rué (se rue encore) sur ce film.
Les cinéphiles goûteront l’hommage de l’élève aux maîtres, ne manquant pas de reconnaître Hitchcock et son « Vertigo » (les longues filatures en automobiles dans un San Francisco ensoleillé) mais également De Palma et son « Pulsions », dont la scène de l’ascenseur est une copie presque parfaite. Les amateurs de suspens se bâfreront de ce film noir remis au goût du jour, ravi d’être plongés dans cette diégèse où la civilisation est redevenue jungle et la ville, un terrain de chasse comme un autre, où tu risques la mort pour un pet de travers. Les gros obsédés s’en mettront plein les mirettes des paires de seins et des chattes non-épilées subrepticement dévoilées-car le monopole de la sexytude ne revient pas qu’à Sharon, loin s’en faut : Jeanne Tripplehorn lui vole presque la vedette en intello coquine que l’on prendra dans toutes les positions à des endroits pas forcément prévus à cet effet. Les théoriciens de la sexualité y verront probablement la confirmation qu’il existe une violence intrinsèque à l’acte charnel, mu par des forces qui nous dépassent : les pulsions de l’homme (et de la femme) sont choses bien mystérieuses, et un tel film montre que ledit mystère n’est pas prêt d’être résolu. Ces intellos de la baise ignoreront au passage la horde de gros obsédés qui leur crieront que l’attraction sexuelle tient simplement en une paire de seins bien gros et qu’ils peuvent pas arrêter de s’astiquer avec le cerveau et faire ça avec les mains, comme tout le monde ? Enfin, les spectateurs lambda, ceux qui disent regarder les films « pour le loisir », apprécieront à leur juste valeur l’interprétation tout à fait honorable, le ton froid sans l’être trop (la promesse d’une histoire d’amour reste toujours dans les parages) et l’intrigue assez prenante pour nous faire oublier qu’elle est improbable.


Pour toutes ces raisons, on peut dire que « Basic Instinct » est un film charmeur pouvant séduire énormément de monde. A tel point même que personne ne protestera lorsque Verhoeven, traître, les entraînera dans les pires chemins de traverse et les abandonnera à leur sort, condamnés à démêler les fils de ses multiples twists. A voir ensuite si cet attrape-naïfs ne marche que la première fois, ou si les faux semblants marchent toujours autant pour les suivantes…

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le 25 déc. 2020

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Dany Selwyn

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