Les soldats oubliés
Dans la continuité du regard posé sur l'endoctrinement et le formatage en milieu lycéen de High School, Frederick Wiseman poursuit sa radioscopie passionnante de l'institution américaine en...
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le 6 sept. 2021
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Dans la continuité du regard posé sur l'endoctrinement et le formatage en milieu lycéen de High School, Frederick Wiseman poursuit sa radioscopie passionnante de l'institution américaine en s'intéressant à une autre forme de catéchisme, celle assurée par les neuf semaines d'entraînement militaire pour les engagés de la base de Fort Knox, dans le Kentucky. Les points communs sont assez frappants, au point qu'on jurerait que les deux films ont été conçus de manière conjointe, avec le discours final du premier (la lettre d'un ancien de l'école parti au Vietnam lue avec autant de fierté que d'émotion par une prof) renvoyant au discours final du second (témoignant l'efficacité phénoménale du programme qui produit des recrues identiques en série).
Le style est quant à lui encore invariable depuis 1967 : même absence d'artifice de mise en scène, même concision dans le montage, même équité dans le traitement des temps "forts" et des temps "faibles". On peut aussi noter les mêmes maladresses, pas tellement dérangeantes, à l'occasion de certaines dispositions techniques (typiquement, des zooms sur le visage d'une personne en train de passer un sale quart d'heure) qui ne produisent pas toujours les effets recherchés. Basic Training montre aussi, peut-être pour la première fois, les limites des tentatives de dédramatisation du sordide par l'humour (le bal costumé dans Titicut Follies, les échanges entre policiers dans leurs voitures dans Law and Order, la séquence des vomis dans Hospital) : le processus de déshumanisation inhérent au système conduit le pauvre Hickman, prisonnier de son adaptation impossible au carcan imposé de force, à une tentative de suicide que personne dans son entourage ne prend au sérieux, pas même l'aumônier aux faux airs de psychologue. Difficile de rire, cette fois-ci.
Tout le reste est cependant d'une pertinence fort appréciable, le long d'un parcours rythmé par les entraînements divers qui conduira toute la troupe de jeunes recrues vers la cérémonie finale — précédant leur expédition au Vietnam, en 1971, à une époque où les États-Unis se pensent toujours les seuls garants vertueux de la démocratie bien au-delà de leurs frontières, persuadés qu'ils vont botter les culs nécessaires en Asie du sud-est, sûrs de leur droit. Se mélangent ainsi le tragique et l'anecdotique, le délirant et le pragmatique. Le cours sur le fonctionnement de la mine claymore est très révélateur de l'emprise que confère ce sentiment de détenir une arme d'une puissance dévastatrice entre ses mains.
D'un côté, ce sergent (qui pourtant n'a pas dû prendre de drogue) déclarant en substance "avez-vous vu le film Patton, Patton, réincarnation de dieu : si vous mourez, tant pis, vous vous réincarnerez", dans une légitimation assez surprenante de la violence et du sacrifice. De l'autre, cette bande d'enfants qui semblent jouer à la guerre, non sans un certain sens du grand-guignol dans l'apprentissage du maniement des armes ou du combat rapproché. Derrière l'apparente sérénité des sergents instructeurs (quand ils ne sont pas occupés à gueuler dehors), on prend de plein fouet une grosse dose de névroses et de violence latente. C'est sans doute l'un des films de Wiseman les plus tristes vus jusqu'à présent.
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le 6 sept. 2021
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