Pour comprendre ce qui aura donné cet étrange produit cinématographique, il faut retourner en 1992, lors de la sortie du chef-d'oeuvre de Tim Burton : Batman Returns.
Ses premiers jours d'exploitation en salle furent une réussite commerciale indéniable, battant même certains records dans la catégorie "meilleur démarrage en salle". C'est cependant après plusieurs jours que les problèmes survenurent. Les associations de parents se liguent contre le film, le trouvant beaucoup trop sombre et violent, n'appréciant également pas les sous-entendus sexuels que se lancent Catwoman et le Pingouin. La firme McDonald aura d'ailleurs fait retirer les jouets promotionnels du film qu'elle tentait de vendre, ne voulant pas être associée à cet univers sombre. Ces différents discours nuisirent au film, au point que les recettes se virent alors plus basses que prévu.
Lorsque Tim Burton est venu présenter à la Warner ses idées pour un troisième volet des aventures du chevalier noir, les producteurs lui firent vite comprendre qu'ils ne voulaient plus de lui à ce poste, cherchant avant toute chose à générer de l'argent. C'est donc ainsi que Joel Schumacher repris la casquette de réalisateur et appliqua une esthétique et une vision bien plus proches de ce que voulait le studio. Le cinéaste est en effet bien plus contrôlable que Burton, ce qui est exactement le but recherché. Michael Keaton quitte assez vite le projet, en constatant les directions prises et laisse donc sa place à Val Kilmer. Chris O'Donnell incarnera Robin, Tommy Lee Jones sera Double-Face et Jim Carrey interprètera l'Homme Mystère. Nous retrouverons également Nicole Kidman en psychologue (son personnage est profondément inutile), destinée à servir d'intrigue amoureuse à Bruce Wayne. Pour le reste, seuls les acteurs d'Alfred et du Commissaire Gordon reviendront des épisodes précédents. Une fois le casting achevé, le projet peut donc entrer en production.
Le récit proposé par le long-métrage est le suivant :
"Deux redoutables criminels, Double-Face et l'Homme mystère, mettent en péril Gotham City en manipulant les pensées de ses habitants grâce à un procédé ingénieux. Pour Batman, la lutte s'annonce périlleuse. Un allié lui serait précieux. Et pourquoi pas Dick Grayson, ce jeune trapéziste de cirque orphelin au talent prodigieux ? Gotham City va très vite devenir le théâtre des exploits d'un duo légendaire: Batman et Robin !"
Très vite, nous constaterons que, contrairement aux deux films de Burton, Batman Forever se penche sur un scénario ne faisant pas réfléchir beaucoup le spectateur, nous sommes devant un blockbuster de studio assez classique. Ce troisième volet des aventures du chevalier noir est souvent celui qui fait le plus débat entre les spectateurs. Certains y voit un divertissement de qualité, malgré la déviance complète par rapport à l'univers proposé auparavant, d'autres n'éprouveront que mépris envers ce troisième opus, crachant sur le travail de Schumacher et de l'équipe de la production.
Batman Forever est un film de producteurs, c'est une évidence, tout est fait pour oublier le Batman Returns et son univers sombre et portant la marque de son auteur. Ici, plus question de questionner sur l'animalité de ses personnages, place au film pour les petites têtes blondes avec des lumières fluorescentes et des pubs pour jouets à foison. Si on regarde bien, rares sont les avis complètement tranchés sur cette oeuvre, beaucoup hésitent encore quant à leur avis final sur le projet.
Il est à mon sens évident que faire de ce long-métrage une suite aux deux films de Burton est une pure folie, sur ce point on ne peut nier l'échec complet et absolu du film. En revanche, si on devait quitter un instant l'univers burtonien, que nous reste-t-il ? Tout d'abord, le film s'intéresse beaucoup plus à Batman que par le passé. Là ou il faisait office de figure de l'ombre, il est ici exposé en pleine lumière colorée. Val Kilmer n'est pas un mauvais acteur, mais ne semble pas impliqué dans son rôle. De plus, une fois sous le costume du justicier, il est immédiatement reconnaissable avec sa bouche pulpeuse. Il n'est pas fondamentalement intéressant mais nous pouvons tout de même admettre qu'au troisième film, il était peut-être temps de nous attarder plus sur Batman qu'auparavant et, quelque-part, le pari est réussi. Robin, incarné par Chris O'Donnel, sera de son côté assez insupportable tout au long du long-métrage, mais il est intéressant de remarquer les quelques clins d'oeils faits au personnage dans le comics. Le costume des deux héros laisseront assez dubitatif, proposant des tétons apparents sur l'armure du torse. Il s'agit en fait d'un moyen de symboliser la perfection de la sculpture grecque, mais il faut admettre que cela amène surtout à un érotisme embarrassant. Certes, les super-héros comportent toujours forcément une dimension sexuelle, mais ici, nous sommes plus dans une parodie mal gérée du concept. Vous l'aurez compris, Batman et Robin ne sont pas des personnages très intéressants, même si nous pouvons apprécier le fait de les exploiter plus que par le passé.
Les deux antagonistes seront probablement ce qui nous intéressera le plus dans le long-métrage. Comme cela aura été répété maintes et maintes fois, Joel Schumacher a fait de Double-Face et de l'Homme Mystère des créatures semblables au Joker. Ils semblent complètement fous et plus là pour amuser la galerie qu'autre-chose. Le design de Tommy Lee Jones est assez minable je dois dire (surtout lorsque l'on découvre The Dark Knight 13 ans plus tards) mais son jeu reste correct, qu’on aime ou non la direction prise avec le personnage. Cela dit, j'aime beaucoup la séquence dans son repère, nous montrant comment il a embrassé les deux personnalités qui le composent. C'est en revanche Jim Carrey qui sera la grande vedette du long-métrage. Il devient assez vite le vrai "bad guy" du film et en restera même l'élément le plus marquant.
Dans les années 1990, ce dernier est un acteur à la Robin Williams, c'est à dire un comédien construisant un film entier sur leur simple jeu. Il est donc fréquent d'entendre de ce Batman Forever qu'il s'agisse en fait d'un "film avec Jim Carrey". Il est vrai que cette appellation fait un peu résumé, mais elle est juste. Pour anecdote, sur le tournage, Tommy Lee Jones ne supportera par le jeune prodige et il est connu qu'il lui décernera à plusieurs reprises des phrases du type : "Je ne supporte pas ta bouffonnerie".
Nous sommes devant un film se cherchant un aspect résolument cartoon et comics des années 1960. Comme diront certains, nous retournons à un univers et un loufoque plus proches de Batman - Le Film (1966) avec Adam West. À mon sens, découvrir le film sous cet angle aide à l'apprécier, même si cela n'aide pas à pardonner beaucoup de défauts d'écritures et techniques. Les décors, bien qu’à mille lieues des réussites de ceux de Burton, offrent une esthétique vraiment intéressante. J'en reviens aux repères de Double-Face et de l'Homme Mystère qui offrent des visuels et des scènes réellement intéressantes. De plus, les designs sont vraiment intéressants pour ces méchants.
Cependant, se sentir face à un film qui n'est pas ce qu'il aurait pu être artistiquement parlant ne peut que nous laisser sur notre faim. Le film n'est ni intelligent, ni intéressant et c'est son plus grand défaut. Il en reste que ce troisième volet est un pur objet de consommation. Certains pourront y voir un objet amusant et plaisant à voir, c'est un produit divertissant, il ne faut pas se mentir. Mais le proposer en tant que suite aux oeuvres de Tim Burton reste, comme je l'ai dit, une direction cinématographique plus que discutable.
Le long-métrage assume son aspect cartoon dès ses premières secondes, avec la fameuse réplique de Batman : "J'irai au Restoroute". Cela démontre une affection et une volonté du cinéaste de nous emporter dans un univers plus drôle et léger et en soit, cela est parfaitement louable, mais ça ne pardonne pas certains échecs flagrants du métrage.
Même si j'aime bien Batman Forever comme un petit plaisir coupable, il est en revanche difficile d'y voir un bon film. Un produit principalement mis en place pour faire oublier aux parents Batman Returns et surtout générer de l'argent. Cela fonctionnera d'ailleurs, sachant que le film rapportera plus que le précédent et que McDonald aura finalement exactement le long-métrage / pub de 2h qui servira à faire vendre les nouveaux jouets aux enfants (d'ailleurs voici la pub culte de l'époque : https://www.youtube.com/watch?v=H6HYnNq5ElY). Burton travaillera ici seulement en tant que producteur et ne sera pratiquement pas présent sur le plateau, tant il était dégoûté d'avoir été privé de développer un troisième film lui-même.
Le film ayant donc été un succès commercial, nous en arrivons en 1997 à la légende absolue qu'est Batman & Robin également de Joel Schumacher. Étions-nous prêt ? Ceci est encore une autre histoire...