La féline.
Après son Edward et ses mains d'argent, Tim Burton revient faire un tour dans l'univers qu'il avait mis en images avec le premier Batman, et le truc sympa, c'est que le Timothy enlève, cette fois,...
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le 20 mai 2013
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Pour cette 200ème critique j'ai choisi de revenir sur l'un de mes films favoris, un des joyaux noirs des années 90 qui aura certainement contribué à mon amour du cinéma fantastique. Chef d'oeuvre absolu du genre, somptueuse parade gothique alignant les figures mortifères et dérangeantes, Batman Returns est à mon sens non seulement l'une des meilleures adaptations du personnage et de son univers à l'écran mais aussi la réalisation la plus aboutie de son réalisateur.
Pour savoir pourquoi, il convient tout d'abord de revenir à la toute fin des années 80, alors que sortait en grandes pompes le très attendu Batman d'un jeune cinéaste à la réputation encore à faire. Le carton planétaire du film ne surprend alors personne vu l'énorme machine promotionnelle qui aura précédé sa sortie. En revanche sa réalisation fut pour le jeune Burton une très mauvaise expérience. Pris en étau entre son intégrité artistique et les impératifs des studios, il livrera au final un spectacle certes esthétiquement grandiose mais quelque peu imparfait. C'est un rien dégouté de ce système, que le cinéaste prend temporairement ses distances et signe pour la Fox son premier chef d'oeuvre, Edward aux mains d'argent, plus proche de sa sensibilité artistique et de ses thématiques en devenir. Encore tout auréolé du succès critique et public de ce dernier film, il accepte la proposition de la Warner. A savoir adapter une seconde fois au cinéma les aventures de l'homme chauve-souris. Mais depuis Edward Scissorhands, Burton n'a plus rien d'un simple tâcheron. Il a acquit un statut de cinéaste plus respectable et accepte à la condition sine qua non qu'on lui laisse les coudées franches pour faire un film plus proche de ses aspirations.
D'abord réticent car ne sachant plus quelle histoire mettre en scène vu qu'il avait bouclé la trajectoire dramatique du héros en lui permettant de venger la mort de ses parents en tuant leur assassin dans le premier opus, Burton se tourne vers Daniel Waters pour lui écrire un script faisant suite au premier film tout en s'en éloignant subtilement.
A l'inverse de Nolan, Raimi ou Whedon, Burton n'a jamais été un lecteur assidu de comics. Le seul super-héros dont il puisse rattacher l'univers au sien est de son propre aveu Batman. Etranger au comic original, il n'accorde aucune importance à l'adapter fidèlement, d'où certaines libertés ou trahisons dans son approche de l'univers du Caped Crusader. Le héros n'a ici plus de règle d'or et s'autorise donc à tuer ses ennemis sans le moindre remords, Bruce Wayne n'a rien d'un colosse mais ressemble plus à un citoyen lambda et passe-partout, le meurtrier de ses parents n'est plus Joe Chill mais Jack Napier, nouvelle identité du Joker (dont l'identité véritable dans le comics reste à ce jour inconnue) et ses ennemis sont voués à mourir au terme de leur affrontement avec le justicier. Certains protagonistes sont inventés au service de l'intrigue et les origines des personnages-clés sont radicalement modifiées. Est-ce pour ce genre de transgression que l'on peut nier la qualité d'une adaptation ? Une adaptation n'est-elle pas la réappropriation d'un matériau originel et sa refonte selon la sensibilité de l'artiste et/ou les préoccupations de son époque ? Nolan fera de Batman un héros social et politique, croulant sous la responsabilité et l'incertitude, Burton en a fait un justicier austère et sans compromis, une ombre fascisante perdue dans une ville hors du temps et du monde réel. Mais ce que l'on a (toujours) reproché à Burton, c'est de ne pas traiter le Chevalier Noir en profondeur et de régulièrement lui préférer ses adversaires. C'est vrai. Chez Burton, Batman n'est pas un personnage en devenir, tendant vers une quelconque quête initiatique. Le personnage est juste un nom et une présence, parfois un deus ex machina opportuniste mais surtout un formidable prétexte narratif. La belle affaire, n'est-ce pas ? Exposer un héros avec une telle distance, le traiter seulement en surface, sans permettre au spectateur de pouvoir s'y identifier, tout en conférant une aura tragique à ses adversaires, c'est un peu comme si le justicier était le véritable antagoniste du film.(N'est-ce pas le cas au fond ?)
Mais alors, pourquoi Batman Returns est-il régulièrement cité comme un des trois plus grands films de son auteur ? Proclamer qu'un film de super-héros traitant aussi superficiellement son personnage-titre puisse être un chef d'oeuvre, cela ne revient-il pas à dire que Robocop 3 en est un lui-aussi ?
C'est un fait, les Batman de Burton sont des produits opportunistes aux titres fallacieux voire mensongers. Ils n'existent en fait que pour ajouter à la cohérence de l'oeuvre de leur auteur, toute en esthétique gothique et en créatures marginales. Ainsi, la séquence d'ouverture de Batman Returns donne-t-elle la couleur. Bercée par la partition d'un Danny Elfman alors au sommet de son talent, elle nous révèle les origines burtonniennes de l'antagoniste du film. Un soir d'hiver, un épais manteau neigeux recouvre la ville de Gotham à une époque indéterminée. Dans le gigantesque manoir du couple Cobblepot, les pleurs d'un nouveau-né retentissent. Devant l'aspect proprement hideux du nourrisson (et savamment caché au spectateur), ses parents décident dans le plus grand secret de s'en débarrasser. Lors d'une promenade nocturne dans le parc à une heure tardive, loin du regard de quiconque, ils précipitent le landau contenant l'infâme bébé du haut d'un pont surplombant un épais ruisseau. C'est en suivant le cours d'eau, tandis que les derniers pleurs déchirants et menaçants du nourrisson se font entendre une dernière fois, que le landau finit par disparaître dans la gueule béante des cours d'eau sous-terrains. C'est au terme d'un somptueux générique suivant le trajet du landau dans les égouts que celui-ci finit sa course au pieds d'une rive où apparaissent un groupe de pingouins. Et l'intrigue du film de démarrer trente ans plus tard.
Dès ce formidable prologue, le ton est donné. Le film se présente comme un conte d'une noirceur féérique. L'emphase est mise sur les origines dramatiques du Pingouin, qui suffiront à expliquer tout le long du film son sentiment de rejet, de différence et son désir obsessionnel de s'élever socialement par tous les moyens. Il trouvera un parfait appui en la personne du véritable méchant du film (car c'est par ce personnage que tout arrive, que les destinées s'entrecroisent), le bien-nommé Max Schreck (nommé ainsi en référence à l'énigmatique interprète de Nosferatu). Ce dernier, un notable richissime et industriel sans scrupules organise ainsi l'ascension sociale du Pingouin jusqu'à faire du monstre héroïque et ultra-médiatisé suite à un acte de bravoure savamment mis en scène, un sérieux candidat au poste de maire pour couvrir ses propres intérêts. Parallèlement, il influe sur la destinée d'un autre protagoniste, Selina Kyle. Cette jeune secrétaire timide et maladroite, menant une existence pathétique et solitaire de vieille fille empotée, met le nez dans des documents compromettant son employeur, Schreck. Ce dernier la surprend et la défenestre ni vu ni connu du haut d'une trentaine d'étages. Mais le corps inerte de Selina, aussi livide que la neige recouvrant le macadam sur lequel il s'est écrasé, est bientôt réanimé de manière miraculeuse grâce à l'intervention de neuf chats qui mordillent son corps le temps d'une séquence étrange à la musique intrigante. Vampirisée, prise de soubresauts et de convulsions, Selina ouvre les yeux soudainement. La séquence suivante la voit revenir dans son appartement et répéter les gestes habituels comme un rituel absurde sensé célébrer son retour solitaire chez elle à chaque fin de journée. Burton y filme la séquence comme un écho à une scène précédente où son rituel de fin de journée était déjà exposé ("Chéri je suis rentrée ! Ah j'oubliais, je suis pas mariée..."). Seulement, Selina n'est plus la même, son allure est celle d'un fantôme au regard vide, sa chevelure décoiffée et ses écchymoses témoignent de sa chute, sa démarche est lente et elle semble ne plus faire attention à ce qui l'entoure. Elle obéit à un rythme routinier, un rituel quotidien, accomplissant comme un zombie les mêmes gestes dans le même ordre mais les yeux dans le vague, sans se rendre compte de ce qu'elle fait. Selina n'est-elle pas à ce moment-là aux portes de la folie ? Est-elle seulement encore vivante ?
C'est en écoutant sa messagerie comme elle le fait chaque soir à son retour que survient l'élément déclencheur. Alors qu'une voix féminine, hautaine et froide vantant les mérites d'un produit cosmétique se fait entendre sur le répondeur, Selina pète littéralement un câble. Dans un accès de folie hystérique, elle détruit son image dans le miroir et saccage méticuleusement son appartement comme pour nier sa propre existence et tirer un trait sur la vacuité de cette vie qu'elle abhorre. Par cette séquence à la noirceur bouleversante, sublimée par la mise en scène de Burton et la musique bouleversante de Elfman, Selina passe le point de non retour et créé en réaction à l'hostilité du monde extérieur et à son incapacité de s'y adapter, un alter-ego idéal, désinhibé, libéré de ses contraintes sociales. A travers cette métamorphose désespérée suivant la destruction complète d'une existence matérialiste, Selina s'apprête à affirmer son existence et à assouvir toute la rage qu'elle a contenue jusque-là. Elle se fabrique ainsi son propre costume en cuir noir moulant. L'attirail de la parfaite dominatrice et de la femme fantasme. Celle qui dicte aux hommes, ne demande plus rien à personne mais se sert. Est-elle une justicière pour autant ? La réponse est donnée lorsqu'elle sauve d'un viol une bourgeoise agressée dans une venelle par un voyou. Après avoir fait sa fête à ce dernier et devant la gratitude puante de la femme qu'elle vient de sauver, elle la plaque contre le mur en lui disant "Je vous trouve plus que consentante vous..." Catwoman n'a rien d'une héroïne. Au même titre que le Joker de The Killing Joke, elle est plus une victime des circonstances, le fantasme identitaire d'un individu social incapable de s'affirmer sous sa simple apparence et se créant dans un délire schizophrène un double idéalisé et totalement opposé à sa personnalité première (de manière plus marginale encore, Pahlaniuk puis Fincher en feront la thématique centrale de Fight Club). Ivre de vengeance, elle n'aspire dès lors qu'à se venger de son assassin et semble disposer de neuf vies que lui ont insufflés les chats en la ressuscitant.
Le film de Burton expose donc une sacrée galerie de personnages torturés et complexes. Rien à voir avec des stéréotypes. L'équilibre est si fragile entre eux et pourtant Burton réussit à les sublimer en en faisant tour à tour des êtres fragiles en quête de revanche sur la ville qui les a si longtemps reniés et malmenés. Même Max Schrek, véritable monstre tout ce qui a de plus humain, (incarné par le charismatique Christopher Walken, regard gris magnétique, chevelure blanche-neige jurant avec la noirceur de son âme et de sa garde-robe) s'avère au final un père capable de se sacrifier pour prendre la place de son fils. Un trio d'antagonistes incapables de s'entendre sur la durée et dont la ville de Gotham va subir le courroux.
Et Batman dans tout ça ?
L'alter-ego de Bruce Wayne semble ne plus avoir de raison d'être depuis la mort de sa némésis dans le précédent opus. Ainsi nous retrouvons un Wayne reclus dans son manoir, assis dans son fauteuil, attendant prostré dans une posture immobile au milieu d'un immense salon plongé dans l'obscurité. Le fait d'introduire le personnage de cette manière, signifie que Bruce Wayne n'a aucune raison d'être, aucun enjeu à défendre, sans son alter-ego. Et celui-ci n'a justement de raison d'être que de s'opposer au crime. C'est ainsi la première attaque du Pingouin et de son gang sur la ville qui va légitimer l'entrée en scène de Batman. La chauve-souris apparait ainsi comme une sorte de légende urbaine au même-titre que le Pingouin (voir ces deux plans sublimes du bat-signal selon les points de vue de Wayne dans son manoir et d'Oswald du fond de ses égouts). Tandis que Bruce Wayne s'oppose aux projets industriels de Max Schreck et tombe sous le charme mystérieux de Selina Kyle, Batman reste tout le long du film une ombre restant à la périphérie des enjeux de chacun de ses antagonistes. Luttant tour à tour contre le Pingouin et Catwoman, sur lesquels Burton aura méticuleusement mis l'emphase, le justicier s'avère au final une silhouette fascisante, empêchant les morts de se relever de leurs tombes (Oswald et Selina n'ont-ils pas été assassinés chacun à leur manière ?) et instaurant la peur de sa présence en ville pour garantir la paix. Certains critiques auront donc reprochés à Burton le manque de consistance et d'épaisseur du justicier et d'avoir trop privilégié ses ennemis jusqu'à leur donner plus de profondeur. C'est vrai. Burton aime les personnages tragiques, les morts-vivants et les monstres de foire, il a très souvent préféré ses personnages secondaires (Beetlejuice, Willie Wonka, le Chapelier fou) à ses héros (Charlie, Alice). Mais il est pleinement conscient que Batman n'a, à ses yeux du moins, aucune légitimité dans cette suite sans la présence de nouveaux adversaires introduisant de nouveaux enjeux, vu que le justicier a bouclé son histoire personnelle par la mort de son ennemi juré à la fin du premier opus.
Par un sublime prologue entièrement dédié à Oswald, Burton a bel et bien annoncé la couleur, Batman Returns ne traitera que superficiellement du Caped Crusader. A peine le personnage servira-t-il tout du long de l'intrigue de médiateur, de bouc-émissaire, de bourreau et globalement de faire-valoir. Est-ce parce que Burton pense avoir déjà tout dit sur son héros dans le premier film (c'est à dire très peu) qu'il sous-traite ainsi le personnage ou bien est-ce parce que Batman ne l'intéresse tout simplement pas ? Il y a probablement un peu des deux. Burton et Waters auraient pu appliquer n'importe quel autre traitement de manière à recentrer l'intrigue sur Batman. Reprendre l'idylle avec Vicky Vale où il l'avait laissé pour en faire sa Légende de Zorro pourquoi pas, ou bien s'intéresser au personnage d'Harvey Dent timidement présenté dans le premier film (qui semblait annoncer le bad guy à venir) et possible ami de Bruce Wayne comme dans la plupart des comics. A cela, Burton s'en tient à l'isolement quasi-complet du héros (Alfred mis à part). Exit donc les réminiscences du premier opus (Vicky Vale est à peine évoquée le temps d'une courte réplique, le Joker n'est jamais évoqué, même le meurtre des parents de Bruce n'entre plus en ligne de compte dans le traitement du personnage). Et de l'éventail foisonnant d'ennemis du Caped Crusader dont regorge le comic, Burton va porter son choix sur les deux plus à mêmes de lui fournir assez de matière pour développer ses obsessions et thématiques de prédilection. Dès lors traité comme un simple ressort scénaristique, un deus ex machina de circonstance (après tout, n'est-on pas en droit d'attendre d'un super-héros qu'il surgisse de nulle part pour sauver la situation ?), Batman sous la caméra de Burton, se retrouve bien souvent mis en marge de la narration (ce qui était déjà le cas dans le premier film). Ce qui pourrait apparaître comme un inconvénient majeur voire un incroyable foutage de gueule si Burton avait clairement axé son intrigue sur le justicier dès le départ. Hors ce n'est pas le cas.
Qu'on se le dise, Batman n'a JAMAIS été la priorité de Burton mais un parfait moyen pour approfondir sa mise en forme et ses thématiques à travers la ville de Gotham et les sordides créatures qui la peuplent. La trajectoire initiale du héros s'étant bouclée sur la mort de l'assassin de ses parents, Burton ne se contente pas ici de confronter simplement le justicier à un nouvel adversaire dont la menace ne prendra forcément plus la même valeur dramatique et conflictuelle qu'avec le Joker, mais il le met surtout en présence de son pendant féminin Catwoman. Et c'est bel et bien leur première rencontre qui bouleverse la donne, et sert de véritable catalyseur. Le tour de force du scénario est d'avoir dressé séparément les trajectoires de chacun des trois personnages principaux (en sus de Max Schreck dont dépend tous les enjeux) pour les faire s'entrechoquer le temps d'une seule séquence. Dans cette scène tout aussi mémorable que déterminante, alors que Batman et Cobblepot se rencontrent pour la première fois et se livrent à une joute verbale, Catwoman déboule comme sortie de nulle part, attirant aussitôt l'attention des deux hommes avant que le grand magasin qu'elle vient de saccager n'explose devant eux. Par cette interruption détonante, le personnage de Catwoman bouleverse aussitôt la simple optique du duel et apparait à la fois comme l'élément perturbateur et l'objet de curiosité et de désir des deux autres personnages qui vont aussitôt se lancer à sa poursuite pour des raisons différentes mais comme s'ils s'en disputaient la capture.
Burton s'autorise alors par le biais du personnage de Catwoman d'aborder la sexualité dans tout ce qu'elle peut comporter de désirs et de frustrations, jusqu'à verser dans une symbolique sexuelle qui choqua bon nombre de parents accompagnant leurs enfants à la sortie du film. Ainsi, la première scène commune du Pingouin et de Catwoman se termine par une scène de bluff où la belle gobe le petit oiseau (l'animal pas l'autre) du Pingouin et que ce dernier menace la chatte (là-aussi l'animal de compagnie) par une lame hautement phallique. Le Pingouin encore qui bave et pisse constamment du sang noir comme de l'encre par le nez et dont la lubricité se traduit par de savoureuses répliques ("C'est à elle que je vais combler le vide !").
L'affreux Oswald mis à part, Il faut aussi voir cette scène hautement sensuelle où Selina Kyle invitée par Bruce Wayne dans son manoir finit, au cour d'une discussion en tête-à-tête, par se jeter littéralement sur lui pour lui soutirer un brûlant baiser, promesse évidente d'une nuit d'amour. Pourtant, un méfait perpétré par le Pingouin en ville et relayé par les médias les oblige tous deux à trouver un prétexte pour s'éclipser chacun de leur côté. La scène d'amour interrompue préfigure un pugilat imminent entre Batman et une Catwoman associée temporairement au Pingouin. Bruce Wayne et Selina Kyle sont des être doubles et contradictoires, privilégiant l'existence de leurs alter-egos au détriment d'une vie normale.
Alors que tous deux se rendent au même endroit sans se soupçonner encore d'être chacun leur adversaire, Burton filme en parallèle la préparation de Selina pour devenir Catwoman et celle de Bruce pour se transformer en Batman. Là où ce dernier, investit de moyens démesurés et d'une expérience à toute épreuve suit un rituel solennel et balisé pour enfiler le costume de Batman et se rendre en ville, Selina, elle, n'a que sa misérable petite voiture pour se changer en Catwoman dans l'urgence du moment tout en conduisant pour se rendre au lieu convenue avec le Pingouin pour y affronter Batman, l'homme qu'elle embrassait quelques minutes plus tôt sans le savoir.
De ce fait, Batman Returns traite aussi d'hypocrisie sociale, l'ensemble des personnages principaux y présentant deux facettes, une secrète et une publique. Ainsi l'odieux notable Max Schreck charme-t-il les foules par des discours populistes et mensongers, Cobblepot, obnubilé par le pouvoir, se fait passer pour un candidat respectable au poste de maire au point de finir lui-même par croire à son intégration sociale tout en réfrénant ses pulsions morbides et lubriques, Selina Kyle, quant à elle, n'arrive pas à concilier ses deux identités là où Bruce Wayne s'est depuis longtemps dilué dans son alter-ego. Le contraste entre l'individu social vivant le jour et le pendant noctambule donne lieu à une schizophrénie de carnaval où chaque masque porté (Batman, Catwoman), où chaque attitude simulé (Cobblepot, Schreck) sert d'exutoire à la contradiction et légitime ainsi l'importance de l'alter-ego fantastique.
Mais Burton n'oublie jamais pour autant la trajectoire de ses personnages et la cohérence de leurs interactions. Ainsi, tous semblent dépendre les uns des autres, et les anciens ennemis de faire parfois la paix lors d'une scène inattendue comme celle sublime, où Bruce et Selina se révèlent l'un à l'autre leur identité nocturne par le biais d'un dialogue qu'ils ont déjà eu en tant que Batman et Catwoman, alors qu'ils sont les deux seuls convives à un bal masqué à ne pas porter de masques. Se révélant l'un l'autre de la manière la plus romantique et triste qu'il soit, leur double identité apparait alors comme un fardeau dont ils sont tentés de se débarrasser pour de bon et envisager de retourner à une vie normale, avant que n'intervienne à nouveau le Pingouin dans son ultime coup d'éclat.
Le dernier acte se présente alors comme un immense règlement de comptes au cours duquel Batman se confronte au Pingouin tandis que de son côté, Catwoman tombe enfin le masque et sacrifie jusqu'à sa dernière vie pour embrasser dans une étreinte mortelle son assassin Max Schreck (confirmant ainsi qu"un baiser ça peut être mortel si on y met tout son coeur").
Et c'est par le biais d'un final bouleversant où chaque mort semble regagner sa place que Burton conclut son métrage sur une note mélancolique, sublimé par la musique d'un Danny Elfman alors au sommet de son art. L'ultime séquence voit au cours d'une froide nuit d'hiver Bruce Wayne recueillir un chat errant. Alors qu'à l'arrière de sa voiture, tenant dans ses bras le petit animal silencieux, Bruce contemple les rues enneigées, Alfred son majordome et chauffeur lui souhaite un joyeux Noël. Encore perdu dans ses pensées, le regard rivé à l'extérieur, y cherchant une personne qu'il ne retrouvera probablement plus jamais, Bruce lance cette ultime réplique sur un ton chagrin et sybillin : "Joyeux Noel Alfred. Et aux hommes de bonne volonté. (il regarde le chat qu'il tient dans ses bras) Et aux femmes..."
Pour beaucoup, Edward aux mains d'argent demeure la pièce maîtresse de la filmographie de Burton. Il livra au cinéma, coup sur coup, ses trois films majeurs (Ed Wood étant évidemment le troisième). Pour Batman Returns, le réalisateur se réapproprie les personnages d'un comics à succès et leur univers, bouleverse leurs origines et leurs motivations et livre au final un de ses films les plus personnels. Le film s'avère être l'aboutissement de la première période de sa carrière, y condensant harmonieusement l'essentiel de ses obsessions d'alors, prenant ainsi une revanche sur Hollywood et sur son premier Batman en imposant ses thématiques et son univers macabre dans un film conçu préalablement comme familial. Il amorcera ensuite une période plus subversive encore avant de s'assagir et de perdre doucement une partie de son âme via des productions policées, codifiées et redondantes où il se condamnera à répéter son propos et son esthétique désormais vendus comme une marque de fabrique et non comme l'empreinte inimitable d'un auteur incorruptible. Burton retrouvera-t-il un jour un tel niveau d'excellence ? Au vu de la splendeur du spectacle, on est en droit de le souhaiter de tout coeur.
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Créée
le 9 sept. 2016
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