Avec "Batman" premier du nom, Burton préfère délaisser le matériau d'origine et d'avantage imposer sa vision, son style, ses personnages et son univers. Le grand Tim remet le couvert trois ans plus tard avec "Batman: le défi".
Après le pimpant et burlesque Joker, ce sont Catwoman et le Pingouin qui rejoignent instantanément la clique des méchants, mais pas seulement, puisqu'ils rejoignent aussi la troupe des personnages burtoniens, et plus particulièrement le Pingouin. Freak de son état, il est rejeté par des parents de la haute société qui tel Moïse, l'envoient sur les flots, non pas purs d'une rivière, mais ceux, verdâtres des égouts. Se constituant une famille de saltimbanques inquiétants, à base de clowns sinistres et de pantins décharnés, il se réfugie avec une poignée de pingouins dans un antre dissimilé sous un zoo abandonné. Ce zoo au look particulier (statues grisâtres, neige, grillages tordus, ombres mystérieuses, arbres morts...), renvoit à une habitude toute burtonnienne d'attacher le personnage à un lieu reflétant parfaitement son univers mental. Alors que Batman devient un personnage quasi-transparent, Burton se concentre sur ses deux bad guy, avant tout monstrueux, mais aussi humains. Si le Pingouin se révèle être tout le long du film un être repoussant, sadique, sale et difforme, il se montre également comme un Freak tout simplement rejeté de la société, cherchant une certaine reconnaissance, et pourquoi pas une véritable identité.
Quand à Selina Kyle/Catwoman, elle se présente comme une version féminine de Batman. Semant l'ambiguïté, Catwoman est le résultat de la fulgurante transformation d'un esprit inexistant et frustré, celui de la pauvre Selina Kyle: secrétaire timide malmenée par une vie glauque et sans joie, Selina se fera malheureusement défenestrer par son patron Max Shreck. En quelques instants de folie furieuse, Burton ressuscite la fragile Selina pour aboutir à une douloureuse renaissance. Un esprit tortueux et dérangé naît en quelques instants sous nos yeux, grâce au jeu tétanisant de Michelle Pfeiffer, qui ne retrouvera jamais un rôle aussi puissant. Séduite dans sa vie de nouvelle femme par Bruce Wayne, elle se jette dans une liaison dangereuse avec Batman, aux accents SM, lorsqu'elle redevient une implacable féline. Griffes, fouets, cuir: entre fantasme et folie, Burton croque sur pellicule une femme-chat sensuelle et inoubliable, maniant un érotisme magnétique et inattendu, et n'oubliant pas au passage quelques sous-entendus bienvenus.
Mais au final, les "méchants" et les "gentils" vus par Burton dans cette suite, sont tout aussi faibles et délabrés les uns que les autres. Il esquisse la personnalité de ces trois "animaux", qui ne peuvent s'entendre car radicalement et définitivement différents, voire incompatibles dans leur nature. "Batman: le défi" fait surgir une cruauté et une violence inattendues et cultive une ambiguïté extrême.
Même au-delà des trois personnages cités, Burton soigne son esthétisme jusque dans des plans affolants de beauté, fait preuve évidemment d'une inventivité visuelle sans précédent (la présentation des parapluies gadgets, le canard géant surgissant dans la salle de bal, Catwoman surgissant devant le néon "Hell here"...) et fait preuve d'une très grande habilité à manier la caméra. Nettement plus sombre que le premier volet, que ce soit d'ordre esthétique ou scénaristique, "Batman: le défi" ne s'autorise que rarement l'utilisation de la lumière du jour et préfère s'afficher comme une œuvre blafarde et pessimiste. Un Batman dépassé, un Pingouin qui ne trouvera jamais sa place parmi les hommes car trop différent et une Catwoman rongée par le bien et le mal.
Dans un monde éclairé entre la noirceur de l'encre et la pâleur d'un fantôme, le réalisateur se montre plus anticonformiste que jamais avec ce chef d'œuvre certes bien loin du "Batman" originel, mais bel et bien au cœur de l'univers burtonien.