Ce n’est pas peu dire que la dernière demi-heure de Man of Steel et la polémique sur ses scènes de destruction massive aura marqué un tournant dans le genre du film de super-héros. Elle a déjà eu un impact sur la concurrence puisque dans Avengers Age of Ultron , Joss Whedon insistait autant sur l’évacuation des civils que sur les combats pour se démarquer du film de Snyder. Et voila qu’elle plane sur ce Batman v Superman : L’aube de la Justice qui se veut presque une justification du film précédent dont il constitue la suite directe. Le film s’ouvre d’ailleurs, après un bref rappel de l’origine emblématique de Batman, sur cette fameuse dernière demi-heure vue cette fois de la perspective de Bruce Wayne se précipitant au milieu des décombres pour sauver ses employés.
Le film aborde avec sérieux l’univers super-héroïque cherchant à brasser des questions philosophiques sur les rapport de l’homme à Dieu , la peur de l’inconnu qui nourri la haine tout en proposant une véritable intrigue mais la structure du scénario de Chris Terrio pourtant oscarisé sur Argo qui remplace le décrié (à tort) David Goyer (crédité pour avoir signé la trame générale du film) est trop maladroite pour être pleinement efficace. Parce qu’il se veut pertinent il faut attendre une quarantaine de minutes avant que les premières séquences d’action, la confrontation qui donne son titre au film n’arrivant qu’au début du dernier acte. Le souci de cette mise en place vient de ce que les différentes trames de l’histoire s’enchaînent sans vraiment jamais fusionner en une intrigue cohérente (certaines ne mènent littéralement nulle part comme celles autour des personnages d’Holly Hunter et Scoot McNairy). Tout cela pour aboutir à une confrontation finale des plus classiques (on prend soin de préciser qu’elle se déroule dans le port de Gotham vide depuis des années, toujours le principe de précaution né de la fin de MoS) plombée par des effets numériques approximatifs et un Doomsday au design générique aussi raté que son animation.
DC Comics presents…
Warner utilise de Batman v Superman: L’aube de la Justice comme un raccourci dans la fondation de l’univers cinématographique DC, cela passe par l’introduction aux forceps de personnages et de concepts qui seront exploités dans les autres films de la franchise Justice League. Un peu comme si les fameuses scènes post-générique de Marvel Studios étaient incluses dans les film qui les précédent, elles sembleront obscures aux spectateurs non versés dans les arcanes du comics d’autant qu’elles sont déconnectées de l’intrigue principale. Ainsi la vision d’un futur « apokoliptique » (les initiés comprendront, les autres se demanderont qui sont ces monstres ailés) un véritable geekgasm visuellement fantastique semble provenir d’un autre film, les événements qu’elle annonce étant même en contradiction apparente avec ceux dépeints dans le film.
L’introduction de Wonder Woman, guest-star (de luxe) dans le film en revanche est plutôt réussie en tout cas plus harmonieuse. Elle semble confiante et charismatique aidée par un thème musical galvanisant (qui ressemble au thème de 300) même si son temps de présence n’est pas suffisant pour valider les talents d’actrice de Gal Gadot.
World’s finest ?
Le traitement du personnage de Superman est l’aspect le plus problématique du film, non pas qu’il soit éclipsé par Batman il est au contraire au centre des débats qui animent les autres protagonistes mais se trouve réduit à une figure statique, la plupart du temps muette, jamais moteur de l’action. Henry Cavill remplit le costume de Superman magnifiquement mais ne peut apporter de profondeur à un personnage sous-écrit, en permanence rongé par le doute. Il a peu d’interaction en dehors de sa relation avec Lois, avec cette humanité qu’il est censé aimer. Quand il se voit contraint de comparaître devant une commission d’enquête on espère un discours ou va éclater toute la noblesse du personnage mais il se voit (encore) réduit au silence par un coup de théâtre dont on peine à voir l’utilité narrative. BvS prolonge d’ailleurs le seul aspect de Man of Steel qui me dérangeait : le message transmis par ces parents adoptifs (incarnées par Diane Lane et Kevin Costner) le poussant, à l’opposé de celui, positif, de toutes les versions des Kents dans les comics : ne pas utiliser ses pouvoirs pour intervenir dans la vie des hommes. Cette philosophie « libertarienne » va à mon sens à l’encontre de la nature de Superman et j’espère que l’évolution du personnage que laisse entrevoir la fin du film lui donnera un nouveau départ.
Ironiquement Batman est le rayon de soleil du film, Ben Affleck réussit son examen de passage aussi à l’aise en Bruce Wayne aux tempes grises, comme le dit Alfred (un Jeremy Irons dont l’entente avec Affleck est palpable) « devenu trop vieux pour mourir jeune, non faute d’avoir essayé » – charmeur et charismatique même hors du costume de Batman dont il donne une version massive , imposante et véloce, visuellement la plus proche du comics. Le caped-crusader est au centre de la scène la plus exaltante du film, entraperçue dans la bande-annonce, ou il affronte une vingtaine d’assaillants et ou transparaît toute l’adoration de Snyder pour le personnage. Pour moi la meilleure représentation de Batman en action à l’écran. Cette itération du personnage moralement ambiguë, brutale n’hésite pas à utiliser des armes à feu et même tuer en cas de besoin. Les puristes diront que (et ils auront raison) que cela va à l’encontre des principes du personnages mais j’ai trouvé que cela passait dans le contexte du film d’autant que la conclusion fait penser qu’il va revenir à des méthodes plus mésurées. Plus gênant sont les moments ou Chris Terrio fait apparaître ce Batman vétéran expérimenté comme bien naïf dans la façon dont il est manipulé pour attaquer l’homme d’acier (assez confuse d’ailleurs) voire carrément puéril lors de leur confrontation, l’argument qui ramène soudain le Dark Knight à la raison étant lui proprement ridicule.
Si leur affrontement tient visuellement ses promesses iconiques le film passe, malgré le discours sur le lien des super-héros avec la mythologie, à coté de la dichotomie entre un héros lumineux et l’autre ténébreux, les deux antagonistes étant plongé dans la même noirceur. C’est un comble d’avoir un Superman qui parvient à être plus sombre que Batman.
Dés l’annonce du casting j’appréhendais l’ interprétation de Lex Luthor par Jesse Eisenberg la version présentée ici, de loin la plus mauvaise que j’ai pu voir tout média confondu, mais le comédien n’est pas seul en cause. Ses motivations confuses, s’inspirent de celles du comics ou il déteste Superman car son existence dévalorise ses propres accomplissements mais y ajoute des considérations superficielles au sujet d’un père abusif, de la nature du pouvoir le tout emballés dans des citations de « Lolita » de Nabokov et « Alice Au pays des merveilles. » Son comportement n’est pas constant est-il un businessman manipulateur ? un fou ricanant ? ou est-il lui-même manipulé par de ténébreuse forces extra-terrestres ? Le tout joué de manière survoltée par un Eisenberg qui nous ramène au temps ou les comédiens se croyaient autoriser à cabotiner outrageusement dans les adaptations de comic-books. Sa prestation, insupportable, entre une parodie de son Mark Zuckerberg de The Social Network et du Joker joué par César Romero dans la série Batman de 1966 trouverait sa place dans les Batman de Joel Schumacher.
Si l’on excepte le combat final qui aurait pu être signé par Louis Leterrier , le film est visuellement grandiose, monumental . Zack Snyder qui retrouve son directeur de la photo fétiche Larry Fong (300, Watchmen, Sucker Punch) impose ici toutes les marques de son style (ah ces ralentis) et laisse éclater à chaque plan sa compréhension innée de l’esthétique super-héroïque. Il compose de véritables fresques épiques prenant plaisir à reproduire au détour d’un plan des cases ou des pages iconiques d’Alex Ross et bien sur du Dark Knigh Returns de Frank Miller * qui reste sa plus grande inspiration graphique. La direction artistique de Patrick Tatopoulos est remarquable, les costumes de Michael Wilkinson , tout particulièrement celui de Batman sont sublimes . Le score massif et opératique du duo Hans Zimmer/Junkie XL fonctionne parfaitement donnant au film la cohérence que la structure du script ne lui donne pas toujours.
Conclusion : Malgré sa splendeur visuelle et son indéniable dimension épique (et Batfleck !!!) , ce monumental « Batman v Superman: L’aube de la Justice » n’a pas les moyens de toutes ses ambitions cherchant à raconter une collection d’histoires au lieu de se concentrer sur une seule et desservant certains de ses personnages.