J'aime beaucoup le principe des DTV animés de DC. Ils ont bien conscience de s'adresser à un public de niche, ce qui entraîne un budget allégé. Mais pour compenser cette contrainte ils réduisent la durée (1h15 en moyenne) et vont droit à l'essentiel, considérant que le public qui connaîtra l'existence de ces productions sera déjà assez éclairé pour qu'il n'ait pas besoin de passer par une phase de présentation poussée. On se retrouve ainsi souvent avec des films qui ne s'embarrassent pas de superflu et qui avancent à bonne allure sans péter plus haut que leur cul, cela constitue une bonne respiration au milieu des blockbusters de 2h30. Parfois ça peut donner naissance à des anomalies infaisables autrement, comme Batman : Le retour des justiciers masqués qui faisait revenir le kitsch de la série de 66. C'est un format que je trouve agréable, comme un épisode de série télé autosuffisant. Mais parfois il implique de devoir un peu trop foncer.
Batman vs Robin a piégé pas mal de monde avec son titre français, "Batman et la conspiration des hiboux", qui laissait entendre qu'il se consacrerait à l'arc de la cour des hiboux de Scott Snyder (aucun lien avec Zack). Cette cour est bien présente, mais elle n'est pas le cœur du film et s'éloigne du canon des new 52. Le vrai sujet est dans son titre original : Batman doit gérer le nouveau Robin, son fils de 10 ans Damian, conçu avec Talia Al Ghul pendant que Batman était drogué (oui, Batman s'est fait violer) et entraîné à tuer par la Ligue des Ombres pour en prendre la succession. Le film considère que soit vous avez soit vu le précédent DTV Son of Batman, soit vous êtes un connaisseur des comics pour être tombé sur ce film, et il ne rappellera pas cette situation pour vous faire démarrer dans le vif du sujet, à savoir la cohabitation entre le père maniaque du contrôle et le fils colérique qui doit apprendre à ne pas tuer les vilains. La cour des hiboux interviendra principalement pour contribuer au conflit de Damian qui doit choisir entre ces deux justices, et pour apporter un climax aussi.
J'aimais bien le début qui apportait l'opposition entre un fils qui ne sait pas utiliser sa force et le père le moins adapté à la situation, soit un homme qui ne sait pas accorder sa confiance. Si le monde extérieur peut pervertir Robin, c'est également Robin qui est dangereux pour les autres. Les lecteurs de comics se sont habitué à cette situation, mais pour les autres ça constituera une inversion des rôles bienvenue. Le nouveau rôle de l'Ergot sied bien à ce sujet, même si rien de tout cela ne se montrera original ou surprenant. Damian apporte un thème de la paternité qui méritait sa place au milieu des aventures de Batman, et des histoires de super-héros en général. Il est dommage d'avoir apporté une résolution aussi simpliste à ce conflit, avec en particulier une grosse facilité scénaristique qui permet d'esquiver la question. Le film nous aura montré à quel point Batman est un piètre père et toutes les conséquences que cela pouvait avoir. Mais il n'aura pas été clair sur la façon dont on pourrait sortir de cette situation autrement que par une prise de conscience express d'un amour père-fils que l'on ne ressent pas, Batman n'étant pas du genre chaleureux.
L'ajout de la cour des hiboux en arrière-plan, efficace pour tenter Robin et rendre Batman encore plus distant, a aussi ses inconvénients. Il est difficile pour un lecteur des comics d'oublier que cette société secrète avait ceci d'effrayant qu'elle remettait en question ce que Batman connaissait de Gotham et paraissait être partout à la fois, ce que le film ne peut restituer. On pourrait passer là-dessus mais le film a la mauvaise idée de reprendre 2 passages qui souffrent de la comparaison avec les comics. La séquence psychologiquement usante du labyrinthe devient un simple rêve accompagné d'un avertissement bien vu sur le papier, mais trop bref pour justifier l'évolution du personnage. Quant à la fin elle est très bien faite et a son lot de bonnes idées, mais là encore je repensais à ce qu'il y avait dans les comics et je ne pouvais que voir qu'on y perdait un peu au change. La faute encore une fois à une précipitation inévitable qui réduit l'aura de cette cour des hiboux.
Le film souffre donc de son format qui le contraint à aller trop vite sur beaucoup d'aspects, mais d'un autre côté il se tient assez bien. On sait qu'on est face à un DTV de 1h20, et pour le genre c'est plutôt soigné. Jay Oliva avait déjà montré de quoi il était capable avec The Dark Knight Returns : les rixes sont pêchues, bien lisibles grâce à une "caméra" très stable et d'une durée satisfaisante. On ne perd pas de temps avec des palabres inutiles, les frappes s'enchaînent avec un bon rythme et une grande fluidité, le réalisateur n'hésite pas à se montrer cruel envers les personnages. On ne se moque clairement pas de nous, il y a du bon boulot vu les moyens dont le réalisateur devait disposer. L'animation est bonne malgré quelques couacs bien pardonnables (des corps qui disparaissent sur un plan pour réapparaître le plan suivant, une chute dans le vide rigide mais bon, c'est Batman :p). Le character-design de Bruce Wayne m'a perturbé parce qu'il me faisait penser à Phoenix Wright, sinon c'est sobre mais bien fait de ce côté là aussi. La VF est en demi-teinte : d'un côté il y a Adrien Antoine qui est bon dans ce rôle (c'est d'autant plus pénible de le voir jouer Superman dans les films live tandis qu'il se fait actuellement remplacer par Emmanuel Jacomy, ancienne voix de Superman dans les films animés...), ainsi que Paolo Domingo dans le rôle de Robin même s'il n'a pas l'âge et que ça s'entend. De l'autre on a des rôles secondaires moins convaincants. Maurice Decoster est en petite forme pour jouer l'Ergot et les enfants sonnent très faux. Il y a aussi une réplique qui m'a choqué : "J'étais son égaux". Mais malgré ces défauts elle reste correcte pour le genre.
Batman vs Robin n'est pas une pleine réussite, mais avec son ambition mesurée il constitue tout de même un visionnage sympathique.