Jonathan Dayton and Valerie Faris ne sont peut-être pas les réalisateurs les plus prolifiques du monde ("Little Miss Sunshine" date déjà de 2006 et "Elle s'appelle Ruby" de 2012 !) mais notre attente autour de leurs quelques projets s'en trouve toujours récompensés. D'ailleurs, comment ne pas être séduit à l'idée de découvrir leur vision de cette "bataille des sexes", ce match de tennis complètement fou de 1973 entre la jeune joueuse Billie Jean King, symbole de la cause féministe, et l'ancienne gloire devenue bouffon des foules, Bobby Riggs ?
Une des grande forces de "Battle of the Sexes" est assurément son casting. Pour sa première apparition post-Oscar (et son film de 2017), Emma Stone prête donc ses traits à Billie Jean King, une joueuse en pleine phase ascendante qui, si elle cherche à obtenir avec courage et défiance une reconnaissance égale entre les hommes et les femmes sur les courts de tennis face à un système phallocrate bien établi, est paradoxalement en plein doute sur sa vie privée. Sa relation avec une jeune coiffeuse entraîne en effet une sorte de dichotomie fascinante chez le personnage incapable d'assumer sa véritable orientation sexuelle dans une société qui n'est pas encore prête à l'accepter (et son entourage, King est mariée) alors qu'elle devient le porte-étendard de la cause féministe dans un milieu sportif qui, lui, se fissure peu à peu face à l'indépendance et au succès de ces joueuses.
Face à elle, Bobby Riggs est un tennisman à la retraite, dont la vie familiale et professionnelle moribonde castre la gouaille verbale de show-man qui a fait son succès passé sur les courts. Son addiction contagieuse aux paris en tous genre (il corrompt à chaque fois tous ses amis ou son entourage professionnel de manière tordante) met à mal sa famille : sa femme et son fils aîné semblent dépassés par ce personnage qu'il s'est créé, ne décelant que bien trop rarement l'homme derrière ses multiples écarts et joutes verbales.
Le choix de Steve Carell pour l'incarner relève tout simplement de la perfection. Hilarant lorsque le personnage devient un spectacle machiste à lui tout seul avec ses bouffonneries médiatiques, l'acteur lui apporte aussi tout son jeu nuancé pour dresser le portrait d'un homme bourré de failles, tiraillé entre un amour pour sa famille qu'il ne sait plus vraiment comment exprimer et son envie insatiable de retour sous les feux des projecteurs sans qui il semble étouffer.
Si la qualité d'écriture n'y est bien sûr pas étrangère, la montée en puissance du duel tant annoncé entre ces deux figures finalement bien plus fragiles qu'il n'y paraît n'aurait sans doute pas été la même sans la prestation de ces deux immenses acteurs délivrant chacun un numéro impeccable avant le choc de leur grande confrontation.
Entendons-nous bien, "Battle of the Sexes" n'est pas un film sur le tennis à proprement parler (le match final filmé comme la reconstitution de la rencontre télévisée de l'époque en témoigne) mais celui d'une révolution dans ce milieu sportif et, par son influence, dans la société américaine elle-même, un combat féministe où Billie Jean King devient un symbole de la cause en grande partie par ses propres positions mais aussi du fait des manipulations de Bobby Riggs (il est inconsciemment le créateur de sa rivale sur certains aspects). Évidemment encore d'actualité, le propos trouve une résonance encore plus grande avec les révélations récentes de harcèlement sexuel dans le microcosme hollywoodien allant jusqu'à déteindre sur l'ensemble des société occidentales dans toutes les strates qui les composent.
Pour en revenir au film, le format de feel-good movie choisi Dayton et Faris (et n'oublions pas le scénariste Simon Beaufoy) pour développer ce discours combatif a le défaut de sa qualité. D'un coté, la construction adoptée prend si bien le temps d'explorer en profondeur toutes les facettes des deux futurs adversaires qu'il est quasiment impossible de ne pas se laisser emporter ou frémir sur l'issue de leur affrontement mais, de l'autre, le feel-good movie est un genre aujourd'hui tellement codifié que "Battle of the Sexes" souffre parfois de son manque de surprise, surtout si l'on connaît par avance la finalité de cet improbable match.
Toutefois, ce serait vraiment faire la fine bouche de ne s'arrêter que sur ce dernier point car la maîtrise de Dayton et Faris pour juguler nos émotions à travers le positivisme qui émane de cette incroyable histoire relève tout simplement d'un travail d'orfèvre à l'efficacité imparable, ces deux-là sont bel et bien deux des meilleurs artisans du grand feel-good movie contemporain.