De "Survivre" à "À la Dérive" en passant par "Everest", l'islandais Baltasar Kormákur semble construire une bonne partie de sa filmographie autour de la notion de survie, plaçant toujours ses héros dans la solitude d'une épreuve où les caprices de Mère Nature font le plus souvent office d'exutoire à leurs propres blessures intimes. Et c'est donc sans surprise que "Beast", nouvelle variation de l'obsession du cinéaste en mode survival animalier, prend évidemment ses racines sur un postulat similaire, plaçant cette fois la reconstruction d'une famille déchirée par un deuil au cœur d'une confrontation avec un lion rendu lui-même ivre de douleur et de rage par l'ignominie des hommes.
Après une exposition dissimulant à peine sa volonté d'aller à la plus rapide présentation du chagrin qui anime ce pèlerinage sud-africain de ce père et ses deux filles sur les traces de leur épouse/mère disparue, "Beast" en restera forcément à quelque chose de très sommaire du côté de l'évolution relationnelle de ses protagonistes dans l'adversité (l'inévitable temps mort où chacun exprime sa rancœur à l'autre malgré l'omniprésence du danger sera bien sûr de la partie) mais, en dépit de leurs raccourcis rudimentaires, ces développements sauront toucher au plus simple pour créer un minimum d'empathie vis-à-vis de ces personnages très vite menacés par les crocs du fauve (avoir les épaules solides d'un Idris Elba et d'un Sharlto Copley dans l'équation est aussi un support indéniable), voire même parfois en faire ressortir un ou deux moments étonnamment bien pensés (la divagation onirique d'un père brisé par le chaos de la situation par exemple).
Passons donc sur la rédemption attendue de ce paternel obligé de se dépasser à tous les niveaux face à une créature ayant basculé du côté obscur, sur l'opposition basique de reproches de ses filles à son égard ou sur les agissements un brin aléatoire de ces dernières devant le danger (les coups de génie courageux se disputent à la bêtise irrationnelle) et intéressons-nous surtout à ce qui réussit le mieux à ce "Beast" : les attaques de sa grosse bêbête à crinière !
Prenant le parti pris du plan-séquence dès que le roi de la jungle enragé se met à rôder autour des protagonistes, Kormákur nous colle à chaque fois au plus près de leur perception hasardeuse de cet environnement inconnu, un sentiment de proximité immédiat s'établit ainsi avec le spectateur, l'amenant lui aussi à scruter l'écran pour déceler la direction d'où le danger pourrait surgir. Certes, le procédé n'a rien de nouveau mais le cinéaste l'utilise très souvent avec une réelle efficacité, parfois même avec un certain brio (tout ce qui déroule dans/vers la voiture), afin de donner un vrai impact à chaque attaque du fauve devenue synonyme d'un fracas carnassier dans la quiétude de la savane. Dans le sillage des généreux coups de dents et pattes de son félin numérique plutôt convaincant (on a vu bien pire en tout cas), "Beast" a l'idée judicieuse d'intégrer d'autres composantes de cet environnement, parfois installées en amont, pour en tirer un lot de péripéties toujours plus varié et renouveler les degrés de la menace par leur entremêlement. À ce titre, l'affrontement final en mode duel sauvage sera le parfait point d'orgue de ce si bien nommé "Beast", condensant le meilleur de la force primaire et de la ruse qu'a à offrir ce face-à-face entre l'Homme et la Bête concocté par Baltasar Kormákur.
Petit survival idéal pour conclure la saison cinématographique estivale de 2022, "Beast" a le mérite de compenser certaines de ses carences les plus basiques par la bonne tenue de son exécution qui redonne toute sa férocité au roi de la jungle. Et, vu comme le fauve et ses consorts avaient été malmenés dans des oeuvres de troisième zone ces dernières années, "Beast" se place aisément dans le haut du panier des films mettant son museau face à l'Homme.