Ari Aster a bel et bien cogné là où ça fait mal avec Beau is afraid. Le dispositif de sa mise en scène à première vue chaotique et azimuté se révèle être une ingénierie redoutable dont révéler la teneur serait divulgâcher mesquinement sa maestria implacable. Cependant, vous dire que Beau est un quadra mal dans ses baskets malgré sa séance hebdomadaire chez son psy, que ses rapports avec sa mère sont loin d’être satisfaisants, que ses pertes de repères entre la réalité et ses projections ( devrais-je dire distorsions?)qu’il en fait sont fréquents, qu’un retour sur des épisodes bien précis de son passé le tourmente, n’est pas tout vous dévoiler du grand-huit émotionnel et vertigineux de presque trois heures que vous accueillez dans votre fauteuil dont le confort devient anecdotique. Ari Aster a très bien compris l’utilisation retorse d’une scène, de la façon dont on peut la triturer pour en faire naître des sens différents tels des miroirs convergents et finalement dévoiler la clef de voûte, l’essence de ce qu’il faut capter et retenir. La psyché de Beau est tellement embrouillée et problématique que le réalisateur multiplie les allers-retours narratifs, fait mentir son storytelling, pratique la sortie de personnages toxiques comme des beaux diables de leurs boîtes à ressorts.Et le spectateur de plaindre Beau pour comprendre de quoi il en retourne car sur ses pas, vous menez l’enquête vous aussi pour comprendre l’illusion, le malaise et la détresse intérieure de notre anti-héros malmené tel un chien dans un jeu de quilles. Une situation loin d’être drôle mais où vous vous retrouvez en situation d’empathie de Beau pour espérer qu’il retrouve un minimum de clarté au cœur de ses labyrinthes intérieurs.Regardez bien les tableaux d’Ari Aster ( dont celui fait en animation est absolument prodigieux au passage) pour ressentir les choses avant que la dernière demi-heure du film vous donne les tenants et aboutissants de cette odyssée abyssale. Au niveau interprétation, comment ne pas être estomaqué devant le jeu de Joaquin Phoenix en être perdu, lunaire, hypersensible aux rares moments de sérénité et d’accalmie? J’ai aussi beaucoup été impressionné par la performance nerveuse et chtarbée de Denis Ménochet, en ex militaire jamais en paix avec ses troubles post-traumatiques et donc facilement manipulable par les esprits les plus vils. Et la posture ambiguë à souhait de la mère de Beau ( admirablement campée par Patti Lupone ) procure des moments d’angoisse et de frissons.Je ne regrette pas du tout d’être aller voir ce film car il m’a conforté que la peur viscérale de Beau est aussi la nôtre ( pour des raisons bien personnelles bien entendu) et qu’à l’image du personnage chacun d’entre nous peut ( à un degré plus ou moins fort ) ressentir des moments de doutes, de pertes de repères envers des moments de l’existence ou des proches. C’est là où Ari Aster après avoir malmené nos affects, nous engage à faire notre propre auto-critique sur le plan mental et ça c’est la cerise sur le gâteau que nous accueillons plus ou moins bien, bien sûr!