Putain trois heures ..
C'est en pleine projection de ce Beau is Afraid que j'ai découvert ça, en consultant discrètement mon téléphone portable...
...Et j'ai eu mal.
J'ai eu mal parce que, déjà, pour que j'en vienne à sortir mon téléphone en pleine séance afin de vérifier ce genre d'info au bout d'une heure de film, c'est qu'il y a un problème...
...Or, problème il y avait bien. Et ce problème c'était qu' Ari Aster semblait tourner en rond avec ce film et que ça commençait à me refiler le tournis...
Pourtant Beau is Afraid est au départ loin d'être une purge pour les sens. C'est même la première chose qui saute aux yeux : Beau est un « beau » film. Il est pensé, maîtrisé, élégant... Il a le sens de la percussion ; de la scène qui s'efforce régulièrement de mettre un petit coup.
Il y a toujours un travelling audacieux, une image saisissante, un sous-entendu malsain pour nous rappeler qu'on regarde là le film d'un maître en la matière... Or, ça, c'est le genre de chose qui n'est franchement jamais désagréable.
Par contre, ce qui m'est apparu comme beaucoup plus désagréable au cours de ma séance, ça a été cette terrible impression de vacuité qui m'a très vite pris.
Tout ça pour quoi ? Tout ça pour raconter quoi ?
Alors pourtant, je fais partie de ceux qui considèrent qu'un propos au cinéma ce n'est pas nécessairement un discours ; qu'un propos peut tenir en une proposition, qu'elle soit esthétique, sensorielle voire éventuellement posturale. Et pour le coup j'avais justement aimé les deux précédents films d'Ari Aster pour ça. Hérédité et Midsommar n'avaient pas forcément de raisonnement à mener ou de vérité à révéler, ils étaient juste des films qui invitaient le spectateur dans un monde de confusion aux repères de plus en plus troublés. Et s'il reste vrai que, dans les deux cas, la résolution d'intrigue pouvait apparaître bien fuyante, pour ne pas dire presque inconsistante, en ce qui me concernait ça ne me posait pas de problème parce que – justement – l'évidement de l'intrigue participait à ma sensation de progressive perte de repères...
Mais par contre, là, dans ce Beau is Afraid... Eh bah ça ne marche pas quoi...
Jamais en fait.
Déjà moi je trouve que ça ne marche pas parce que... Bah parce que « Joaquin Phoenix au bord du gouffre » déja.
Joaquin Phoenix au bord du gouffre – comment dire – je commence à en connaître le principe, les facettes, les manifestations...
J'aime beaucoup Joaquin Phoenix au bord du gouffre dans Joker, dans A Beautiful Day, Two Lovers, voire même dans Gladiator. J'ai même trouvé que des films comme Her ou La nuit nous appartient ont su être – à leur manière – des déclinaisons plutôt subtiles de Joaquin Phoenix au bord du gouffre...
...Mais bon, là, à force, je commence à le connaître par cœur le Joaquin Phoenix au bord du gouffre. Alors quand ce film entend nous le ressortir sous sa forme la plus archétypale dès les premières minutes, forcément moi je me suis senti sur un rail...
Et ce n'est pas le déroulé très monocorde et cyclique de l'intrigue qui m'en a fait sortir un seul instant.
Alors après, c'est vrai que je viens de la rappeler à l'instant : l'intérêt d'un film d'Ari Aster ne tient généralement pas dans son intrigue, mais le problème c'est que même sur la question de la forme, ce Beau is Afraid se révèle pour le moins prévisible pour ne pas dire parfois à la limite de l'auto-caricature.
Pourtant, formellement, il y en a vraiment des bonnes choses durant ces trois (longues) heures de Beau is Afraid !
C'est notamment le cas avec cette pièce de théâtre qui est un véritable déluge d'expérimentations visuelles toutes plus pertinentes les unes que les autres...
...Mais l'ensemble se montre au final trop désarticulé – juxtaposant les idées et les scènes plutôt que de les agréger les unes aux autres – et surtout l'ensemble se révèle bien trop lié à ce qu'Ari Aster a déjà pu nous fournir lors de ses deux précédents films pour vraiment être en mesure de nous égarer.
Citons pour l'exemple le gars accroché au plafond et les jeux d'ombre qui rappellent ceux d' Hérédité, et du côté de Midsommar évoquons toute l'iconographie de la communauté mignonne/pas mignonne ainsi que les scènes de sexualité malaisante...
Tout ça amène au final à donner l'impression que l'auteur s'auto-cite déjà (et cela dès le troisième long-métrage seulement : drôle d'effet en perspective) voire même parfois qu'il sombre carrément dans l'auto-parodie tant ça ne le dérange pas ici de se risquer à quelques notes d'humour.
Et au fond, j'aurais presque envie de conclure sur cette notion de risque tant finalement c'est celle qui me frustre le plus dans ce film.
Parce qu'à bien tout considérer, je ne trouve pas qu'Ari Aster ait conduit ce Beau is Afraid en se reposant entièrement sur ses acquis. L'air de rien, en s'éloignant de l'épouvante pour transiter davantage vers la farce sociale malaisante, Ari Aster est sorti de la zone de confort qui l'a pourtant consacré. Seulement – manque de pot – voilà qu'il prend un risque en allant se réfugier dans un domaine plus que balisé et avec des codes plus qu'installés. Joaquin Phoenix, l'individualité en marge, l'ego malmené, le mal-être victimaire : un vrai bingo du cinéma d'auteur disposant d'un minimum de moyens...
...Et au final l'auteur semble tellement peu inspiré par le sujet qu'il préfère en définitive se réfugier formellement dans ses habitudes, avec pour principale conséquence celle d'y noyer ses rares autres prises d'initiatives dans le domaine.
C'est ce qui a fait qu'en définitive – et me concernant – j'ai vécu ce Beau is Afraid comme un film bancal, manquant d'une colonne vertébrale, passant son temps à enchaîner les idées formelles au service de peu de choses d'intéressant, d'original ou d'égarant...
...Au service de rien en fait.
Ce qu'il y a de terrible dans cette histoire c'est qu'au bout du compte, plus que Beau, c'est moi qui ai fini afraid face à tout. Effrayé des limites ici affichées par Aster. Effrayé par l'impasse qu'il dévoile ici. Effrayé face à un auteur peut-être lui même effrayé par sa propre ombre.
Bref tout ça n'augure vraiment rien de bon...
...Mais espérons qu'il s'agisse là juste d'une vilaine illusion.