Une chose est certaine, c'est qu'Aster n'a pas une relation apaisée à la maternité. Beau is afraid entretient un dialogue sinistre avec son frangin, Hereditary, autour de ces mères-démiurges et pleines de fiel à l'emprise desquelles on n'échappe pas. On ne peut s'empêcher de remarquer quelques points communs : la transmission générationnelle, vécue comme une maladie ; une femme rousse aux traits tirés qui, au lieu de vous aimer inconditionnellement, finit par vouloir votre mort ; un adolescent brun taciturne ahuri par la violence du scénario, et qui se passerait bien des attentions dont il fait l'objet.
Beau is afraid, au terme de trois heures aussi délirantes qu'épuisantes, vous livre sa conclusion : on ne se remet pas d'avoir déçu sa mère.
Et c'est bien le propos du film (même s'il faut s'accrocher pour en extraire du sens) : Beau is afraid et il a bien raison. Tout ce qu'il redoute finit par advenir de la pire des manières, et Beau redoute beaucoup de choses. De ne pas suivre une notice à la lettre, de traverser la rue, qu'on vandalise son appartement, que son entourage lui en veuille. Tout le début ressemble à une fable psychotique, à tel point qu'on se demande si Joachim Phoenix n'a pas remis le costume du Joker pour nous raconter l'histoire d'un malheureux déclassé en proie à d'affreuses hallucinations.
La suite brouille considérablement les lignes, car Beau va devoir subir un voyage initiatique semé d'embûches et de cul-de-sacs scénaristiques. Pour survivre à cette aventure décousue, gênante et exubérante, le spectateur doit abandonner l'idée de suivre et se raccrocher au synopsis comme à une bouée : c'est l'histoire d'un mec qui doit se rendre quelque part sous peine d'offenser (mortellement, huhu) sa maman. Mais le monde l'en empêche. De la même façon qu'Aster semble parfois empêcher son spectateur de le suivre dans son délire, en le perdant dans un mini-sketch d'une longueur infinie ou dans une réplique sibylline à laquelle rien ne semble vouloir donner suite.
On doit reconnaître plusieurs qualités à ce film. Premièrement, il est radicalement original. Ensuite, le casting en huis-clos livre une performance impeccablement hallucinée (Joachim Phoenix, touchant et pathétique). La bande-son est discrète mais solide, l'image est belle, l'humour est cruel, le final est glaçant.
Malgré tout, quelques hoquets plombent le voyage : des longueurs inexplicables, d'apparentes incohérences qui rendent fou (mais c'est vraisemblablement fait exprès), un symbolisme qui devient rapidement emphatique, et un propos qui vous donne l'impression de balbutier aux deux-tiers.
En somme, Beau is afraid est un film qui exige de son spectateur un investissement fort, mais qui donne l'impression de lui lâcher la main à mi-parcours. On en ressort vulnérable, un peu frustré, en ayant l'impression d'avoir raté la chute de la blague.