Je suis le géniteur d'une des analyses du film parmi celles les plus en vue sur Google.
C'est donc cadeau - pas besoin de chercher sur le net, la voici car je tiens à réhabiliter ce film qui se prend des torrents de vomi :
Beauté Cachée de David Frankel est un film sorti aux États-Unis le 12 Décembre 2016 et sorti en France le 21 Décembre de la même année. Le film raconte l’histoire d’Howard Inlet (Will Smith), un publicitaire new-yorkais, qui vit une tragédie et tombe dans une profonde dépression lorsque sa fille de 6 ans meurt. Ses collègues (Edward Norton, Kate Winslet et Michael Peña), craignant pour sa santé et pour l’avenir de leur entreprise échafaudent alors un stratagème des plus inattendus pour l’obliger à affronter sa souffrance. Puisque Howard écrit des lettres « thérapeutiques » et symboliques au Temps (Jacob Latimore), à la Mort (Helen Mirren) et à l’Amour (Keira Knightley), ses trois collègues décident d’employer trois acteurs pour être l’incarnation de ces trois symboles. Tel est le pitch plutôt intriguant et surprenant pour un drame sortant en période de fête. C’est un film qui, pour un budget honorable de 36 millions de dollars, en a rapporté environ 88 dans son exploitation internationale (sources box-office Mojo). En France, le film a fait le modeste score de 319 000 entrées, souffrant de sa sortie conjointe face au mastodonte de Justin Kurzel, Assassin’s Creed. Beauté Cachée s’est méchamment pris un tollé critique. Il bénéficie d’un 1/5 de la part de Télérama ou un 2/5 du site mondociné. Le côté larmoyant du film est ce qui lui est le plus reproché. Il obtient néanmoins une note plus correcte sur le réseau social Senscritique avec une moyenne de 6,2/10. Quand au site Rotten Tomatoes, il obtient le ratio catastrophique de 12 % d’avis positifs.
Pourtant, Beauté Cachée est un drame subtil qui dissimule bien son jeu. Le film se dégage de ses carcans larmoyants et stéréotypés pour se mouvoir dans un film aux clefs de lectures multiples, et les retournements de situations dits capillotractés découlent d’une logique totalement fiable et bien ordonnée par David Frankel.
NB : Avant de continuer, nous souhaitons vous prévenir que la chronique s’organisera autour d’un système de questions/réponses dégageant les grands axes du film à analyser. Ainsi, inévitablement, le film sera spolié à 100 %. Nous vous invitons à voir le long-métrage avant de revenir lire l’analyse.
Posons-nous déjà une première question primordiale : Le retournement de situation de fin est-il vraiment tiré par les cheveux ?
La campagne marketing de Beauté Cachée reposait déjà sur un couac. Le film supposait clairement que ce soit Howard lui-même pendant sa dépression qui percevait les trois abstractions qui venaient à son encontre. Le film prenait clairement l’allure d’un feel-good, alors qu’il est quasiment tout le contraire. C’est en effet les plus proches collègues d’Howard (Simon, Claire et Whit) qui décide d’embaucher des acteurs pour représenter ces abstractions afin d’évincer Howard de la boîte puisque ce dernier se mure dans un silence dangereux, faisant perdre à l’entreprise tous ses partenariats. On tombe dans quelque chose de plus morbide, celui de manipuler et d’évincer un homme meurtri par le deuil de sa fille. Mais Frankel réussit à nous tromper par deux fois puisque dans une révélation finale, on apprend que les trois « acteurs » sont réellement des abstractions ! Alors, est-ce tiré par les cheveux comme révélation ?
Non, à notre sens, toutes les ficelles dramatiques étaient déjà tendues au spectateur pour qu’il comprenne que c’était directement des abstractions. Il n’y a, d’autant plus, aucun faux raccord quand à cette certitude. En effet, dans le film, seul Howard, Whit, Claire et Simon voient les abstractions. Dans une perspective chronologique, c’est d’abord Whit qui est interpellé par Amy (l’amour). On sait que le personnage traverse une période difficile et cela est dû à l’amour (sa fille qui le rejette). Tout comme Simon est interpellé par la mort (du fait qu’il va bientôt mourir de maladie) et Claire par le temps (parce qu’elle ne peut pas avoir d’enfants). Les trois personnages rencontrent ensuite tous ensemble les faux acteurs dans un théâtre en piteux état. On suppose déjà à l’origine que les personnages ont été invoqués peu après les lettres envoyées d’Howard. Le fait qu’ils répétaient un texte lors de la rentrée de Whit au moment de la première scène est comme un symbole. Travaillaient-ils leur logorrhée avant d’aller rencontrer Howard ? Les personnages sont ensuite découpés en duos qui collent parfaitement aux situations des amis d’Howard (comme nous l’avons soulevé précédemment).
C’est à ces moments-là que les « acteurs » comprennent qu’ils ne sont pas là pour Howard mais bien pour Claire, Whit et Simon. Des scènes entières laissent le soin aux personnages de réaliser la véritable nature de leurs missions. Par le biais d’un « bon mot », d’une tournure de phrase toute simple pour modifier le slogan de Whit (« Découvrez-vous en faisant peau neuve » → « Faites peau neuve, découvrez-vous ») l’amour déclenche un sursaut d’orgueil chez ce personnage obtus. C’est en le voyant venir au théâtre qu’elle semble comprendre, par le biais d’un plan rapproché sur son regard qui en dit long, qu’elle est là pour lui. La scène où il se retrouveront en ville confirme tout cela. Elle tente de le faire parler de sa fille, afin qu’il apprenne la nature du véritable amour, chose qu’il n’avait pas avant de la rencontrer.
Pour Simon, la donne est semblable, c’est dans la scène dans le magasin où Brigitte le suit dans les rayons qu’elle comprend les raisons de sa venue. Frankel capte en plan semi-rapproché Simon qui déambule dans les rayons au fur et à mesure qu’il se livre à Brigitte. Cette dernière disparaît puis réapparaît à plusieurs reprises dans le cadre. Par ce procédé, on comprend comme clef de lecture que Simon tente de fuir la mort, mais que ce ne sera cette fois pas possible. La scène finale entre les deux personnages le prouve à nouveau. Brigitte, au moment de faire ses adieux à Simon lui dit : « A bientôt le vieux », ce qui sous-entend clairement qu’elle va bientôt l’accueillir en son sein. Elle lui dit d’autant plus ceci : « Rien n’est vraiment mort si l’on regarde bien » ce qui coïncide avec le fait que ce soit elle qui transmet la maxime de la beauté cachée à Madeline dans l’hôpital en fin de film.
Enfin, Claire est avec le temps, interprété par le personnage de Raffi lui-même interprété par l’acteur Jacob Latimore. Il lui suffit d’un regard sur un flyer pour lui aussi comprendre sa mission auprès de Claire, celle de lui montrer qu’elle n’a pas, en privilégiant sa « famille » professionnelle, fait l’impasse sur une famille personnelle, ce que tente à plusieurs reprises de lui faire comprendre le personnage de Raffi : « Le temps ne va pas de Janvier à Décembre ou de minuit à midi, c’est une image dans notre tête ». Un dialogue est représentatif en soi de tout ce que peut être Beauté Cachée :
- « JE DIRAIS QUE LE TEMPS N’A PAS GAGNÉ LA BATAILLE »
- « JE CROYAIS QUE C’ÉTAIT UNE ILLUSION ? »
- « JE DIS PEUT-ÊTRE DES CONNERIES, JE FAISAIS JUSTE L’ACTEUR »
A l’inverse de Brigitte et Amy, Raffi, par son âge plus jeune trouve une manière plus « insolente » de faire comprendre à Claire de passer au-delà de sa perception du temps. Ainsi, on voit bien les enjeux du long-métrage. Les personnages « acteurs » chargés de décontenancer Howard sont en fait de véritables abstractions, invoqués à l’origine pour l’aider lui mais ils se sont rendu compte que c’était véritablement Claire, Whit et Simon qui avaient besoin d’aide. De plus, personne d’autre ne les voient. Il est supposé que la détective ait trouvé Brigitte fabuleuse lors de son intervention envers Howard mais c’est suggéré par Simon et aucune scène ne nous prouve qu’elle était au courant de la supercherie. Enfin dans le comportement même des personnages, on a d’autres indices. L’amour (Amy) par exemple, est rebutée par le projet initial de Whit. Pour elle c’est la sincérité des liens humains qui prime, c’est pour cela qu’elle aura de virulents échanges avec Howard puisque ce dernier dans l’intro dit : « on est ici pour créer du lien ». Ils accordent tous deux une grande place à l’amour. C’est aussi pour cela qu’Howard, déçu et trahi, écrira dans sa lettre pour l’amour simplement « Adieu ».
De plus, Howard reçoit sans colère les interventions de la mort et du temps mais pas celle de l’amour. Il dira d’autant plus en parallèle à Madeline : « Je ne sais même plus ce que c’est que l’amour », preuve qu’il a rompu totalement avec Amy et Madeline et que c’est cette abstraction qui a le plus de pain sur la planche pour qu’il extériorise sa peine. La mort (Brigitte) est, elle, le personnage la plus lucide lorsqu’elle dit, en contradiction avec Amy : « Nous allons représenter son cosmos ». Brigitte est celle qui est la plus clairvoyante, et qui comprend plus facilement les choses face à la jeunesse et la fougue de Raffi et Amy.
Ainsi, le retournement de situation n’est pas capillotracté, avec tact, finesse et subtilité, Frankel parvient à démonter son pitch initial prévu dans les trailers avant de le reconstruire lors de sa révélation finale. Tout à un sens ! On pourrait résumer les enjeux de Beauté Cachée ainsi :
En début de film, Howard, désespéré et meurtri par la mort de sa fille, écrit au temps, à l’amour et à la mort. Sans le savoir, ils les invoquent. Avant leurs apparitions, Whit est lui concerné par un problème d’amour avec sa fille. Il tombe ainsi sur Amy (l’amour) qui l’emmène au théâtre où se trouve Brigitte (la mort) et Raffi (le temps). Ces trois personnages seraient les abstractions en train de répéter leurs diatribes pour sortir Howard de sa latence mais c’est en formant les duos avec Claire, Whit et Simon qu’ils comprendront leur véritable mission : Les sauver eux de leurs problèmes respectifs et faire en sorte qu’Howard extériorise tout seul sa douleur et sa peine, pour qu’il puisse ensuite retrouver sa femme Madeline.
Passons à une deuxième question : La deuxième fin (les retrouvailles Madeline-Howard) est-elle aussi une fin poussive et stéréotypée ?
A notre sens non. Un seul gros indice arrive à distiller la possible fin entre les deux personnages. A plusieurs reprises, les personnages se rencontrent et discutent de leur manière de se confronter au deuil. On apprend d’autant plus qu’à un moment, le mystérieux mari de Madeline lui a transmis une lettre où il était écrit : « Si seulement nous pouvions être à nouveau des étrangers… ». On comprend dès lors que c’est ce qui s’est actuellement passé entre Howard et Madeline après le décès de leur fille. Howard a fait le choix de revenir vers Madeline. Cette dernière, surprise de son retour lui demande le nom de sa fille. C’est LA question qui tourmente notre protagoniste, celui de faire son deuil en se livrant, en donnant le nom de sa progéniture disparue. Howard n’y arrive tout d’abords pas. Madeline pensant en effet, en le voyant revenir, qu’il est prêt à avancer. Il ne le fera finalement qu’en fin de film. La donne de Beauté Cachée est complètement différente du propos initial. Howard est en thérapie, non pas grâce aux abstractions mais grâce à Madeline. Frankel s’est livré à un jeu dangereux, il nous a laissé croire à une centralisation du film autour de la thérapie d’Howard avec les trois abstractions, mais cela s’avère finalement être Whit, Simon et Claire qui semblent concernés par le sujet.
Nouvelle question : Claire, Simon et Whit sont-ils des personnages avec un mauvais fond ?
La question se pose tant elle soulève beaucoup d’interrogations. On sait que c’est eux trois qui ont monté le stratagème avec les abstractions pour évincer Howard de l’entreprise. Mais ce sont des personnages eux-aussi tourmentés qui devaient inéluctablement réaliser cela, même à un ami. Chose qu’Howard semble lui-même accepter, pensant notamment que sa pérennité dans la boîte ne pouvait pas continuer dans cette situation. L’entreprise était toute sa vie, il avait notamment préparé le terrain pour que sa fille récupère les actions à sa mort. Trop de souvenirs hantaient ces locaux et blessaient silencieusement Howard. Il répond d’ailleurs à Claire, Whit et Simon qu’ils avaient bien fait d’avoir monté tout ce stratagème. Preuve de l’existence réelle des abstractions, Howard ne leur reproche pas cette partie du plan mais uniquement le fait d’avoir été suivi par la détective. Claire, Simon et Whit n’avait pas d’autres choix que de le faire, puisque l’entreprise était, pour tous les trois, un leitmotiv de leur vie, quelque chose pour lequel ils ont tout sacrifié.
Claire c’est la figure de la mère protectrice. Son problème central se situe autour du temps, du fait qu’à cause de son énorme investissement dans l’entreprise, elle est passée à côté de son rôle de mère, chose qu’elle souhaitait absolument. Elle a remplacé son rôle de mère en étant la figure maternelle de l’entreprise, d’Howard et de Whit. En début de film, devant l’impatience de Whit à réagir, elle le fait réfléchir et lui fait faire un exercice de relaxation auprès des sapins de Noël. C’est la mère frustrée qui parle, elle fait avec Whit, des choses qu’elle souhaitait faire en tant que maman. Elle prend aussi soin d’Howard en lui apportant à manger. Plus qu’un ami, c’est son « fils » de cœur et l’entreprise, sa famille. Claire n’a pas un fond détestable puisqu’elle est rebutée pendant les 3/4 du film à l’idée de trahir Howard mais elle ne voulait pas que son sacrifice de la maternité n’ait servi à rien, en voyant la boîte pour laquelle elle a travaillée, fermer.
Simon a lui aussi participé à tout cela car il allait mourir de maladie, et ne voulait pas laisser sa famille dans le besoin, chose logique et compréhensible. Entre famille et amis la priorité est quand même facile à deviner, surtout dans les cas les plus extrêmes. Possédant quelques parts dans l’entreprise, il peut facilement mettre sa famille à l’abri si les parts d’Howard sont vendues et la société relancée.
Whit est un cas cependant moins défendable. Le personnage semble brisé par l’amour (son divorce avec sa femme, et le mutisme de sa fille qui ne veut plus le voir). Il semble ainsi dépourvu d’empathie envers son ami de toujours, Howard. Toutefois, ses légers élans d’ouverture avec Amy (notamment la scène de première lecture de la lettre) préfigure un personnage malgré tout tendre qui veut lui aussi sauver son ami, sans avoir fait attention aux proportions qu’allait prendre leur stratagème.
De toute manière, Howard est un peu, même avec sa mise en retrait, le deus ex machina de Beauté Cachée. Au début du film, c’est lui qui distille la maxime principale que l’on retiendra par la suite. Il est un gourou porteur d’une idée utopique et germinatrice. C’est lui qui fait prédominer l’importance des trois abstractions. Le travelling circulaire autour d’Howard lorsqu’il répète ce listing montre le cheminement de ces idées dans sa tête et montre aussi deux stases de son état, il est d’abords persuadé et motivé de cette existence des abstractions puis son visage est avachi, démonté, il n’y croit plus. Les couleurs suivent ce changement d’atmosphère, en devant moins claires, moins tape-à-l’œil. Le jeu avec les dominos qui tombent est une mise en abîme d’Howard lui-même, il construit et déconstruit tout le temps des figures en dominos, c’est l’œuvre de sa vie qu’il démonte, le personnage est lésé, usé par une vie qui ne présente plus d’intérêt.
Lors de la réunion avec le conseil d’administration, on voit bien que le personnage a été placé au-dessus des autres puisqu’il perçoit avec lucidité toutes les situations de ses amis. En écrivant les lettres, il invoque le cosmos pour donner un sens au monde qu’il a tenté de créer précédemment. Il veut donner sens à son utopie créatrice et il y arrive. Ce sont les souhaits d’Howard qui créent Beauté Cachée. C’est un personnage scénariste de toute cette aventure. Le plan-séquence d’Howard a vélo pour poster les lettres aux abstractions est le plan de plus beau du film puisqu’il montre le cheminement de son idée et le pose en tant que géniteur des abstractions. Un parallèle intéressant montre aussi l’évolution du personnage.
En début de long-métrage on le voit prendre à vélo une route en sens inverse, motivé par l’idée de provoquer en duel la mort. Cette thérapie avec Madeline lui permet de prendre du recul sur la situation, et dans un plan en fin de film on le voit reprendre le sens normal de la route.
Beauté Cachée est enfin, un film qui invoque de puissantes références. Le point d’orgue reste la scène dans le métro entre la mort et Howard. Ce dernier, dans un monologue extermine tous les préjugés des intellectuels autour du thème de la mortalité, traitant la religion et les poèmes de Whitman et Dylan Thomas (poète central d’Interstellar de Christopher Nolan) de « conneries d’intellos ».
Beauté Cachée est ainsi un film puissant. Sous-entendant d’abords, une facilité de traitement de sa narration, il faut le voir plusieurs fois pour comprendre que tout à été fait avec un but final. Tout n’était pas fait au hasard, surtout le choix de commencer avec les abstractions en tant qu’acteurs. Tout est guidé de manière à transmettre une véritable leçon de vie qui dépasse les strates d’une lecture simple.
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