Parfois, faire une critique est l’occasion de revenir sur un autre film sur lequel nous ne sommes pas intervenus. Ici en l’occurrence, je parlerai de Beetlejuice premier du nom. Une comédie horrifique que je considère avant toute chose comme un monumental « fourre-tout ». Mais attention, ne pas y voir dans l’emploi de ces termes un jugement sceptique envers le long-métrage. Bien au contraire ! Oui, Beetlejuice est un sacré bordel, cela va sans dire. Dans lequel Tim Burton, reprenant un script original, s’est totalement laissé aller en y instaurant ses idées fantasques sur tous les pores de la pellicule. Quitte à grandement s’éloigner de ce que devait ressembler le projet initial. Donc oui, un bordel, mais un joyeux bordel ! Car Beetlejuice témoigne surtout de la créativité d’un artiste à part entière. D’un créateur qui a su s’imposer en piratant une œuvre de gros studio et en la transformant à son image. À savoir un titre en totale roue libre, faisant preuve d’ingéniosité en matière d’écriture et de technique. Il n’en était clairement qu’à son second long-métrage, mais en allant à son imagination, Tim Burton nous livrait en 1988 un délire unique en son genre. Nous permettait d’entrer dans son esprit si particulier et nous faisait découvrir un univers burlesque et poétique dont lui seul en détient encore le secret aujourd’hui. Même si sa carrière s’est, au fil des années, quelque peu dégradée au fur et à mesure que le bonhomme entrait dans le système. Sa patte artistique si particulière devenant un argument marketing (Dark Shadows) ou un prétexte pour le voir sur des projets semblables à son univers (la série Mercredi). Le tout en enchaînant les commandes de studios qui ont peu à peu dénaturé voire singé son art (La Planète des Singes, Alice au Pays des Merveilles). Il y a certes quelques exemples qui sortent du lot et que, personnellement, j’apprécie – dont Sweeney Todd, Dumbo, Miss Peregrine et les Enfants Particuliers… – mais rien de bien transcendant qui puisse me rappeler le Burton de la grande époque. Celle où il enchaînait les grands films cultes, de Batman à Sleepy Hollow, en passant par Edward aux mains d’argent, Mars Attacks ! et Ed Wood. Et c’est aussi pour cela que je retiens Beetlejuice. Car à part être un délire sur lequel Burton a eu carte blanche, le film est surtout celui qui lui a permis de s’exprimer et de nous offrir des films mémorables.


De ce fait, voir le réalisateur s’évertuer à donner une suite au véritable commencement de sa renommée n’est, sur le papier, pas déconnant. Et si j’utilise le verbe « s’évertuer », c’est tout simplement que j’en entends parler depuis des années, de ce Beetlejuice 2. Un projet qui est déjà évoqué dans les années 90 pour ensuite ne pas arrêter de faire la une depuis 2011. Annonçant que le film serait en chantier, que les acteurs originaux reviendraient… avant que ce ne soit annulé pour repartir de plus belle ! J’y voyais presque une éventuelle arlésienne de réalisateur. Voire même un film quelque peu opportuniste, à l’image d’un Tim Burton actuel, assagi, ne faisant que recycler son univers et ses gimmicks. Autant vous dire qu’avec cela en tête, je ne voyais clairement pas cette idée de suite d’un bon œil. Surtout à une époque où les majors hollywoodiennes persistent à ressortir les franchises de leur tiroir ne serait-ce que par ambition pécuniaire. Et je dois dire que la première partie de ce Beetlejuice Beetlejuice n’était clairement pas des plus prometteuses.


Dans un souhait de devoir raccrocher les wagons avec son prédécesseur, cette suite prend en effet son temps. Beaucoup trop son temps, à devoir évoquer ce qui s’est passé entre les deux films. Le fait que le personnage de Lydia Deetz se soit mariée puis devenue veuve, avec une enfant à élever. Et qu’elle est présente une émission utilisant son don, induisant la rencontre avec un producteur désirant l’épouser pour l’argent mais également une fille la reniant car ne s’étant jamais occupée d’elle. Et qui va, peut-être, trouver une oreille voire l’amour dans les bras d’un garçon qui la comprend. Sans oublier le personnage de Delia, qui poursuit sa notoriété artistique et devant faire face au décès de son mari Charles – prétexte pour évincer ce dernier et son interprète Jeffrey Jones. Et du côté des morts, nous avons bien évidemment ce cher Beetlejuice qui gère tout un bureau d’exorcisme à sa manière. Toujours obnubilé par Lydia et qui va devoir faire face au retour d’une ancienne conquête Delores, désirant se venger de lui. Et au milieu de tout cela, une ancienne star de films d’action devenue chef d’une brigade de zombies, un père dévoré par les piranhas... Bref, il y a beaucoup, beaucoup trop d’intrigues dans cette suite, ce qui pose aussitôt deux problèmes. Le premier étant qu’à trop vouloir mettre tout cela en place, cette suite peine véritablement à démarrer et à retrouver la fantaisie bordélique du film original. Certes, nous y retrouvons avec plaisir les personnages et quelques références. Surtout que les acteurs semblent s’amuser de leur retour comme des fous, Michael Keaton en tête. Tandis que les nouvelles têtes du casting, dont Jenna Ortega, partagent cet amusement avec malice. Mais tout semble trop sage et lisse qu’en 1988. Et le second souci souligne la vacuité de certaines intrigues, qui peuvent tout simplement être retirées du scénario sans l’impacter d’un iota. Un constat qui concerne notamment le personnage de Delores, inutile au possible et juste écrite pour avoir Monica « Mme. Burton » Bellucci au casting.


Mais si tout semble partir sur des bases instables et discutables, il faut toutefois attendre un retournement de situation scénaristique pour que le film se réveille enfin. Sans en révéler les teneurs, je dirai juste qu’il s’agit de ce moment où nos protagonistes vont passer dans le monde des morts et recroiser la route de Beetlejuice. Et dès lors, ce deuxième volet retrouve la folie de Tim Burton. Même s’il y avait déjà eu quelques saynètes sympathiques dans la première partie, la seconde explose de toute part pour notre plus grand bonheur. À l’image de son démon frapadingue, le film adopte un rythme endiablé et une folie faisant honneur à son prédécesseur. Cette dernière se traduit principalement par des décors hauts en couleurs et à la géométrie délirante. À une ambiance musicale entraînante. Et surtout à des démons et morts plus loufoques les uns que les autres, servis par des effets spéciaux faisant la part belle aux vieilles techniques (marionnettes, maquillages, animatroniques, animation en stop motion…). D’ailleurs, il est heureux qu’avec un budget de 100 millions de dollars, Tim Burton n’ait pas succombé au tout numérique – avec lequel il a par ailleurs prouvé maintes et maintes fois ne pas être à l’aise – pour garder cet esprit de « la débrouille » qui le caractérise depuis ses débuts. Et qui faisait tout le charme visuel du premier Beetlejuice. De se retrouver, aujourd’hui, face à un blockbuster au budget conséquent avec ce style d’effets spéciaux relève du miracle. Ce qui témoigne de l’envie et de la liberté artistique qu’a eu Tim Burton sur ce film, nous donnant l’occasion de le revoir à son meilleur lors d’un gentil défouloir.


Car si Beetlejuice Beetlejuice se révèle être une suite dispensable et un poil lisse, elle n’en reste pas moins une comédie horrifique rigolote made in Burton. Un joyeux bordel bien loin d’égaliser son modèle, mais qui parvient à nous replonger dans cet univers avec sympathie et amusement. Tout en confirmant qu’après des années d’errance artistique, le réalisateur peut encore en avoir sous le capot. Il suffit pour lui de trouver le projet adéquat. Celui qui lui permettrait de se lâcher pleinement, d’exprimer son art comme il le faisait avec tant de grâce à ses débuts. Mais en attendant, nous avons là anomalie bienvenue dans le paysage hollywoodien. Une petite bulle d’air vivifiante bien qu’imparfaite, qui redonne espoir en l’un des cinéastes les plus marquants de sa génération.

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