Il est amusant de voir comme les gens changent avec le temps.
Jesse et Céline ont vieilli, et moi aussi. Sept années se sont écoulées depuis mon visionnage de Before Sunset contre neuf pour nos deux amoureux. Je n’avais pas accroché durant le premier film, le trouvant trop à l’eau de rose mais la curiosité m’avait poussé à voir le deuxième.
Le deuxième opus, sans me passionner, avait eu le mérite de me faire réagir. Le côté sur-analytique des personnages et mes désaccords quant à leurs visions de l’amour m’avait empêché de donner un retour positif mais je m’étais donné rendez-vous quelques années plus tard pour le visionnage du dernier film en date.
Sept ans plus tard donc, Before Midnight, le moins bien noté des trois films sur le site, est pourtant celui dont je me rapproche le plus. La pandémie a eu pour effet sur beaucoup de gens de ma génération, moi y compris, de nous pousser à réfléchir davantage sur ce que nous voulons faire de notre vie, sur le sens que nous lui avons donné et sur ce que nous avons accompli jusqu’à présent. Je ne compte plus le nombre d’amis/fréquentations qui ont décidé de changer de partenaire/travail/ville/pays ces derniers mois. Ce questionnement arrive généralement autour de la quarantaine avec la fameuse crise existentielle du même nom mais, privilégié(e)s que nous sommes, nous avons eu droit à deux années d’enfermement et de balades autour du pâté de maison pour y réfléchir dix ans plus tôt qu’attendu. Moi qui trouvais que leurs longues promenades assaisonnées de conversations profondes étaient irréalistes, j’en ai pris une sacrée dose pendant les confinements.
Ainsi, pour la première fois en trois films, je me suis identifié aux personnages. A Jesse, surtout, qui est expatrié comme moi et qui a l’impression que ses choix de vie lui ont fait raté des choses essentielles, ici l’enfance de son fils. Il ne réclame rien de particulier mais a des regrets (qui peut dire qu’il n’en a jamais eus ?). Sa surprise lorsqu’il réalise qu’il a ouvert la boite de Pandore en évoquant simplement la possibilité de déménager aux États-Unis m’a frappé. Jamais il ne s’était rendu compte des nombreux sacrifices de Céline, car tout simplement aucun ne lui paraissait comparable au sien. Elle fournit l’immense majorité des efforts au quotidien mais lui a déménagé en Europe loin de son fils et, inconsciemment, cela lui sert de justification pour tout. Il ne rejette jamais la faute directement sur Céline mais il n’a pas besoin de le faire, tous deux savent très bien qu’il ne vit en France que parce qu’il est avec elle, pas pour son amour de la gastronomie. A partir là, il n’est pas étonnant qu’elle prenne mal qu’il parle de son expatriation comme d’une erreur.
Le personnage de Céline ne m’a pas laissé insensible non plus. Elle vieillit mal, n’accepte pas de ne plus avoir son corps de jeune femme. Elle en plaisante mais le sujet revient tellement souvent sur la table qu’on sent bien que ça l’affecte. Des deux, c’est celle qui a le plus conservé ce côté hyper-analytique de tout ce qui concerne leur relation. Elle surinterprète tous les signaux, même ceux qui n’en sont pas. Elle bout à l’intérieur et va laisser sa colère exploser au grand jour lorsque Jesse évoque Chicago, les uppercuts fusent et même quelques coups bas sont distribués.
En réalité, elle est insatisfaite pas tant par Jesse que par elle-même. Insatisfaite de son travail, de son corps, de la façon dont elle a mené sa vie. Elle n’est pas la femme qu’elle aurait voulu devenir il y a vingt ans et plutôt que de se focaliser sur ce qu’elle a accompli, elle qui bénéficie tout de même d’un train de vie semble-t-il très confortable, elle accumule les frustrations et s’en prend au coupable idéal: Jesse.
Il faut le dire, les deux comédiens sont parfaits. Julie Delpy et Ethan Hawke sont Céline et Jesse. Leur complicité, leur alchimie, tout est là. La Grèce aidant, la photographie est très jolie et malgré les disputes de couple on se surprend à rêver de vacances au bord de l’eau.
On peut regretter que des passages paraissent un peu forcés, notamment durant la scène du dîner où le manque d’inhibition des personnages est perturbant (c’est là qu’on sent que Richard Linklater est américain) ou encore quelques relances de la dispute, mais le spectateur reste impliqué car, bien que traitant le même sujet, on ne tourne pas en rond.
Ce n’était pas parfait, je suis toujours globalement en désaccord avec la façon de voir des personnages, mais c’est de loin le « Before » dans lequel je me suis senti le plus impliqué.
Alors, rendez-vous dans quelques années pour Before Midday ?