La Chine, un grand pays à l'histoire riche et passionnante mais miné par une politique intérieure dévastatrice. Tel pourrait-on poser ce constat. N'en déplaise au soft-power chinois qui ne se gêne pas d'exhiber le luxe et le rythme de vie superficiel de la jet-set hong-kongaise et les infrastructures futuristes de Shanghai tout en masquant honteusement l'arrière-pays. Il faut toujours se méfier des apparences et plus elles sont lisses, plus elles sont douteuses. Zhao Liang compte bien casser l'image flamboyante vendue à l'international avec un documentaire aussi corrosif que son contenu. "Béhémoth, le dragon noir" dont le nom quasi biblique renvoie à la plus grande bête qu'ait créé Dieu et dont 1000 montagnes constituaient sa pitance. Et de la noirceur, vous risquez fort bien d'en voir car notre voyage va se faire bien au-delà de toute éthique environnementale. Vous m'excuserez de cette phrase mais on savait que les américains et les chinois étaient les principaux fouteurs de merde au niveau du réchauffement climatique et nous en aurons là une preuve flagrante.
Le propos est éloquent et commence dans le plus grand chaos avec cette succession d'explosions à la dynamite sur ces étendues de terre défigurées. Au loin un homme nu allongé dans l'herbe, en osmose avec la nature dont il a émergé et qui sera témoin et victime de l'impitoyable rouleau-compresseur de la sacro-sainte croissance économique. Les mines de charbon pullulent et annihilent toute biodiversité. La Mongolie intérieure est en pleine crise voyant chaque jour un peu plus de ses terres être avalées. Zhao Liang prend son temps et avec un sens de l'esthétique filme chaque parcelle grise et terne rappelant le très interpellant "Leçons de Ténèbres". Mais peu importe la beauté de l'image, si l'élément filmé est laid, il restera laid quoi qu'il en coûte. Pourtant, dans un premier temps, on décèlera ça et là quelques images sur la nature verdoyante. La plus puissante étant sans nul doute ce groupe de moutons dévalant une pente de terre pour rejoindre l'herbe.
Cet espoir n'est toutefois que chimère et Béhémoth continue son inéluctable trajet dans la fosse de l'inhumanité. Il filme la main-d'oeuvre travaillant pour une bouchée de pain et effectuant chaque geste de manière robotique. Des travailleurs qui ne sont d'ailleurs aucunement protégés de la pollution aérienne qui sera à l'origine de dizaines de milliers de cas de pneumoconioses. Les usines poussent comme des champignons, rejetant dans l'air des hectolitres de gaz noirs pour toujours plus déglinguer notre atmosphère. La poussière est tenace, l'air irrespirable et la chaleur étouffante. On sent qu'il y a du Wang Bing là-dessous, bien que j'ai toujours trouvé ce réalisateur très surcoté à mes yeux et paresseux dans sa mise en scène, là où Béhémoth est plus rythmé et plus esthétique. Il ne s'embarrasse pas de joutes verbales omniprésentes. Les images parlent d'elles-mêmes et les rares dialogues intérieurs sont lâchés comme un soupir d'être résigné s'essayant à une poésie sur l'hécatombe. C'est beau et tragique à la fois. Une merveilleuse ode à l'écologie et posant la question qui fâche : "le développement, à quel prix ?". De celle-ci découlant une seconde : "Ce développement est-il nécessité ou gaspillage ?". Deux idées que la trilogie des Qatsi avaient déjà claqué avec une prose évidente sur la table.
Preuve en est avec ses dizaines de villes fantômes créées sans qu'il n'y ait de retour sur investissements. Une sorte d'économie s'auto-alimentant et dont la base en est plus qu'incertaine. Le cinéaste s'est essayé à La Divine Comédie de Dante et il en est ressorti plus que victorieux. Il est un témoignage poignant, révoltant et indispensable sur le sort d'une Mère Nature allègrement souillée par un pays mensonger, méprisant et sale. Béhémoth va puiser ses influences chez des talents affirmés comme Jia Zhang-ke et Wang Bing mais sans jamais se laisser dévorer par eux. Son oeuvre est singulière, puissante et offre un joli coup dans les roubignoles du système chinois.