D’Alabama à Belgica, le Waterloo de Felix van Groeningen

Près de trois ans après Alabama Monroe (The Broken Circle Breakdown en VO), Felix van Groeningen revient avec l’histoire de deux frères ayant décidé de gérer un bar, le Belgica, qui se voudrait ouvert à tous et notamment à ceux qui se font recaler à l’entrée des autres clubs. Assez vite, les deux frères tombent dans le « Sex, drugs and rock’n’roll », ce qui finit inévitablement par tendre les relations entre ces derniers. Et puis… C’est tout.
Je ne vous le cache pas, j’avais adoré Alabama Monroe qui était une véritable tragédie grecque mêlant intelligence, mise en scène et émotions (cf. ma critique – autopromotavu). Par conséquent, oui, j’attendais Belgica avec impatience. Et même si la première bande annonce de Belgica ne m’avait que moyennement convaincue, j’avais toujours espoir. Espoir que le réalisateur arrive à créer des interactions entre ces différents personnages qui soient intéressantes, réfléchies et subtiles. Pour autant, je pense pouvoir juger le film avec un certain recul.
Belgica, c’est donc l’histoire de deux frères, Jo et Frank. Là où l’aîné, Frank, nous est présenté sans nuance comme un connard immature pour lequel il n’est pas prévu que le spectateur éprouve une quelconque empathie pour lui ; Jo, lui, est un garçon plutôt gentil, à l’initiative du projet Belgica, et qui s’avère être le gars relativement fiable (c’est lui qui tient les comptes, c’est lui qui a une relation amoureuse plutôt stable, etc.). Le film se place d’ailleurs du point de vue de Jo, c’est donc à lui que nous sommes censés s’identifier.
Deux problèmes se posent alors : je les nomme Frank et Jo. Tout d’abord, ce n’est pas parce qu’un film n’entretient que peu d’empathie entre ses spectateurs et son personnage qu’il condamne les faits et gestes de ce dernier. Or, ce que fait Frank est condamnable à bien des égards : racisme, sexisme, violences (notamment envers les femmes), tout cela, n’est jamais réellement condamné par le film.


Son frère s’éloigne mais pas énormément non plus. Il perd le Belgica mais c’est finalement un mal pour un bien, il va pouvoir se reconstruire. L’affaire du type qui se fait pisser dessus et tabassé tombe à l’eau. Son addiction à la drogue et à l’alcool ne se conclut jamais (il se prend même une petite binouze à la fin, c’est tellement facile de vaincre l’alcoolémie en fait…). Bref, finalement est-ce qu’il paie pour ses actes odieux ? Non. Il s’en sort très bien. Et du coup quel message passe pour les spectateurs ? Ouais, quand t’es dans une mauvaise passe, ça peut t’arriver à taper les femmes mais bon, si tu te reprends en main ça passe. Sauf que JAMAIS le film montre que Frank se remet en question. Un autre aspect m’a gêné, et pour le coup ça ne concerne pas que Frank, c’est dans leur rapport à la drogue et à l’alcool. A aucun moment, le film ne montre les aspects vraiment néfastes de l’addiction et les difficultés à s’en sortir. La chose la plus « violente » qui est montrée dans le film – et qui n’a pas de réelles conséquences – c’est quand l’un des personnages se prend un rail de coke avec un gosse dans les bras. Youhou. Tous les personnages prenant donc de la drogue dure tous les soirs pendant plusieurs mois/années arrivent à se sortir de leur addiction les doigts dans le nez. Donc oui, je trouve le film imprudent voire dangereux sur ce point-là.


Passons maintenant au personnage de Jo. Jo est un gars sympa avec une bonne idée pour qui le spectateur développera une certaine empathie (bah oui, entre Frank et lui, le choix est vite fait). Le souci avec Jo, c’est qu’au premier choix qu’il fait et qui peut susciter polémique, le film prend clairement son parti et tente de lui donner des excuses.


Ainsi, quand il n’acceptera pas le choix de Marieke d’avorter et voudra la foutre à la porte, le scénario avance un argument sorti de nulle part (le film montrant un couple aimant et solide) : « c’est pas grave, de toute façon, je n’étais même pas sûre que ça soit le tien ». Oui bon bah du coup, le spectateur se dira « oh la salope, il a bien fait du coup ». Super génial quoi. On a un gars qui refuse qu’une femme dispose de son propre corps et on arrive à le faire passer pour une victime, c’est bien les gars, continuez.


En définitive, j’ai un problème idéologique avec ce film que je trouve trop complaisant envers des personnages dont la mise en scène et le scénario devraient les condamner.
Un autre souci de taille de Belgica est sa mise en scène. Comme je le rappelais précédemment, Alabama Monroe était un bijou de mise en scène qui, à chaque image, chaque cadre déployait une idée. C’est exactement l’inverse qui se passe ici. C’est même assez déroutant de se dire qu’il s’agit du même réalisateur qui avait fait un travail de mise en scène si complet dans Alabama Monroe pour en arriver au vide total qu’est Belgica. Par exemple, là où dans son précédent film, les scènes de musique étaient utilisées pour évoquer l’avancement des relations et des rapports de force, dans Belgica, la musique ne sert qu’à faire un joli fond sonore. De manière plus générale, je trouve que le film est creux en termes d’idées de mise en scène. C’est tapageur et vain, on te montre à peu près vingt fois de la coke ici, un cul là et puis voilà, c’est tout. A la place de ces plans convenus et vide de sens, le réalisateur n’aurait-il pu plutôt utiliser un cadre imagé pour montrer la cassure entre les deux frères ? N’aurait-il pu pas faire passer des messages à travers la composition de ces plans ?
En somme, à l’instar du bar de Frank et Jo, Belgica aurait dû faire écho chez tous spectateurs et finit par exclure une partie de ceux-ci…

Naorim
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