Deux mondes, deux drames, une rencontre, un espoir.

Evénement des fêtes de fin d’année, Belle n’en est encore qu’à ses sorties en avant-première qu’on parle déjà de relecture de La Belle et la Bête de manière trop abrupte bien que ça soit une influence évidente pour le prolifique Mamoru Hosoda qui avait déjà partiellement pioché dedans avec Le Garçon et la Bête. Mais avant cela, c’est surtout un retour vers l’importance des réseaux sociaux dans notre société actuelle, thématique auquel il s’était déjà attelé avec Summer Wars en 2009 en évitant les grosses portes ouvertes et en créant déjà un univers qui n’appartenait qu’à son film sur le plan artistique malgré des couacs dus à ses débuts en tant qu’auteur en animation.


A l’instar de Summer Wars, on ne change pas une formule gagnante : les premières minutes nous plongent directement dans la fameuse U, société virtuelle infiniment grand et sans fin dans une séquence d’ouverture vertigineuse et applique de manière pure et simple les règles de base de cet univers, jusqu’à nous mener directement vers le sujet central de toutes les discussions de ce monde : Belle, une chanteuse à taches de rousseur aux tenues majestueuses, véritable phénomène médiatique à échelle mondiale dans ce monde virtuel teintée de mystère sur l’identité de cette interprète.


Pour faire vivre ce monde informatique, Mamoru Hosoda recourt souvent à l’inondation visuelle une fois plongée dans la masse d’information qu’est un réseau social quand une personnalité ou une information fait un immense buzz. Des bulles de dialogues se comptant par centaines


(l’assaut de Dragon lors du concert de Belle avec les langues multiples des internautes, la surmédiatisation soudaine de Belle après ses débuts)


, des articles internet allant jusqu’à reconstituer le portrait de ladite Belle, un découpage rapide sur les internautes avec lesquels échangent nos personnages, tout le rapport au numérique et à la société virtuelle ressort par les pores de Belle (le film, pas le personnage).


Tandis qu’à côté, le monde réel bénéficie d’une mise en image plus sobre et pudique, aux déplacements moins saccadés que les avatars de U et plus fluide chez les personnages, avec toujours un dessin de plus en plus abouti en comparaison de ses premiers travaux pour Digimon et One Piece. Aucun doute sur l’aspect slice of life reconnaissable à Hosoda depuis ses débuts en indépendant et l’ambition de son esthétique et de son monde à l’image d’un Le Garçon et la Bête ou encore d’un Summer Wars.


Et surtout il nous confronte à Suzu Naito, lycéenne renfermée sur elle-même dont la première rencontre avec le spectateur l’interrogera très fortement sur le comment de sa popularité planétaire sur le net. Mais c’est surtout une réussite en plus pour Mamoru Hosoda dans l’écriture de ses héroïnes : moderne et surtout rendu particulièrement empathique dans son premier tiers prenant le temps d’instaurer les bases qui l’ont construites au moment ou le rapprochement se fait entre son apparence chétive et passée de mode, et la star du net enflammant les passions.


L’application de la règle "Ne le dites pas, montrez-nous !" prend tout son sens chez Hosoda laissant le soin à l’image, au montage et à la musique d’introduire ses principaux rôles. L’enfance de Suzu ne déroge pas à la règle, montrant ses premiers contacts avec la musique et la technologie, accompagné par la musique tendre de Taisei Iwasaki, délivrant des morceaux d’existence construisant Suzu jusqu’au drame (à l’image de celui de Les Enfants loups : sans musique, dur et nécessaire) qui construira également la Suzu telle qu’on la connait. Timide, réservée, souffrant d’un blocage pour le chant, manquant cruellement d’estime pour soi, et qui trouvera en U une échappatoire ou exprimer son talent et mener une vie plus illuminée que celle du monde réel.


Belle ne tombera pas dans le piège d’en faire une icone intouchable et forcément adulée par tous, loin de là : la critique se fait présente et les interrogations neutres également dans la société infinie de U, la fascination développée autour d’elle ressort surtout de ses reprises par la majorité des genres musicaux et sur un mensonge déjà banalisé depuis des lustres sur les réseaux sociaux ou l’anonymat est employé à tout va. Avec la manipulation du réseau , tout cela est propice à des réactions aussi drôles qu’attachantes sur l’absence de contrôle de Suzu quant à sa popularité et ses origines


(son avatar inspiré du visage de la fille la plus populaire de son bahut capturé sur une photo de groupe, la réappropriation des chansons, les ragots qui n’en finissent plus entre internautes sur l’identité de la chanteuse…).


Le monde réel réussit à ne pas pâtir de sa comparaison avec le réseau virtuel de U et à fournir une belle galerie de second rôle : soit grâce à la place qu’occupe certains acteurs autour de la fanbase gargantuesque de Belle (Hiroka, la meilleure amie de Suzu, prenant un malin plaisir limite mégalomaniaque à manipuler l’information pour la success story de Belle), soit vis-à-vis du traumatisme de Suzu (Shinobu, le bienveillant et également taciturne ami d’enfance dont la relation suscite également ragots et mauvaises réactions en raison de sa popularité) ou parce que la force des événements la conduit à se confronter à eux quand cela finit par faire évoluer le récit (Lukas la fille populaire, bonne surprise là aussi).


Sans oublier les impacts que laissent petit à petit sa libération vocale et la protection que lui confère son identité numérique : incapable de chanter au point que l’effort en elle-même lui donne des nausées, mais renouant avec son talent petit à petit tout en gardant sa discrétion habituelle


(entre un exercice de vocalise en bord de rivière ou une répétition dans un coin refermé avec un groupe de chant).


Malheureusement à ce sujet, là ou Belle échoue à être intouchable, c’est dans la volonté d’Hosoda de faire des parallèles au conte de La Belle et la Bête (plus particulièrement la version des studios d'animation Disney) durant le deuxième tiers alors que ça n’est pas une nécessité et que ça devient proche de l’intrusion vis-à-vis des thématiques centraux lié à Belle et Dragon quant au secret de l’identité et le besoin de liberté que ne peut accorder le monde réel.


A tel point que voir Hosoda repomper le fameux plan de la Bête ou il se lamente de son comportement envers Belle après que celle-ci ait découvert la rose et qu’il l’ait violemment chassé de son jardin secret relève d’un pur plagiat que je ne m’explique toujours pas, idem quand ce sont les plans de Belle fuyant par la suite à travers le château. Même pour l'hommage c'est forcée.


Non seulement c’est superfétatoire, mais en plus de ça elle discorde avec la suite des événements et le rapport qui s’établit entre une Belle de plus en plus intriguée par ce combattant solitaire portant les blessures du monde réelle (une des meilleures idées du film et exploitée ici à bon escient : les Avatars comportant les traces physiques de leurs utilisateurs) et un Dragon qui ressemble davantage à une âme enragée sans repère et dont l’agressivité est traduite comme de la barbarie gratuite par la populace du net.


D’autant que lorsque Mamoru Hosoda se concentre sur la conception d’une micro-société miroir à celle du monde humain, U gagne en vivacité et en sagacité avec sa police improvisée (mais plus proche d’une dictature bien déguisée avec leur code couleur et leur allure de super-héros pour se donner une image), son ordre religieux présumé avec ses sages cités en début de film, ses sponsors et surtout ses vedettes au milieu duquel plus de 5 milliards d’internautes se perdent. Donc on sait d’ores et déjà qu’on a un cinéaste pourtant bien plus mûr et réfléchi qu’avec ces courts instants balbutiant et discordante.


En témoigne sa volonté de contrebalancer les mauvaises dérives du monde de U par ses bienfaits, ses moyens de communication à longue distance et surtout les avancées technologiques qui en découle (Hosoda est un optimiste et bienveillant vis-à-vis de chaque thème qu’il aborde dans ses œuvres).


Un simple air rapporté à une enfant battu sur un stream live peut soudainement devenir un indice pour découvrir une identité, et surtout un appel à l’aide étouffé de plus en plus au point de se fermer à toute main tendue.


Par ce drame ainsi que celle endurée par Suzu et l’intérêt commun que chacun a trouvé dans U, la porte est grande ouverte pour lier à la fois l’intime et l’ambition à grande échelle de Belle.


C’est alors un pic émotionnel transcendé dans un dernier acte résonnant qui est peint :


Suzu ne pouvant prouver son identité numérique à un Kei/Dragon méfiant et remonté contre tous dans le monde réel, elle renonce à son masque virtuel et choisit de délivrer un ultime concerto musical sous sa véritable apparence. Par le prisme d’A Millions Miles Away, qui est d’une simplicité et beauté de parole permettant à une Kaho Nakamura sensible et juste comme jamais de faire vibrer l’âme en étant à la fois un adieu à U, un deuil qui prend fin pour Suzu comprenant alors le sacrifice de sa mère par le passé, un message destiné à Kei et sa sœur ayant rejeté son aide et ayant sombré dans la désillusion totale. Un geste exceptionnellement magnifié par l’A cappella de centaine de millions d’internaute dans un ultime encouragement (aux yeux de qui ce concert prend différents sens) pour quelqu’un mise à nue et s’étant métaphoriquement sacrifié dans ce monde numérique pour le bien de personnes ayant besoin de croire de nouveau en quelqu’un et de ne plus se renfermer que sur le monde numérique pour apaiser les affres de leur existence comme elle l’a fait elle-même.


Un moment très très délicat à manier et à amener en termes d’émotions et de sens et qui atteint la frontière fine entre le tire-larme facile et l’instant de grâce qu’un film peut atteindre en se donner les moyens et le courage d’aller au bout de ses choix narratifs et graphiques. Belle penche à mes yeux dans la deuxième catégorie et il sera intéressant de voir comment chacun réagira à ce moment-là.


D’autres part, si les performances musicales de Belle sont aussi splendides et font écho au récit, c’est parce qu’ils sont finalement loin d’être aussi nombreuses et qu’elles choisissent la simplicité et la sensibilité sonore comme premières armes. En témoigne Lend Me Your Voice, chanson de réconfort et de bienveillance qui, si il ne se détache pas entièrement de l’influence trop évidente du classique d’animation Disney (oui Mamoru, moi aussi j’adore ce film mais ne le montre pas trop non plus), continue d’affirmer la sensibilité sonore qui colorise et illumine cette rencontre entre deux êtres ayant trouvé chacun refuge à leur manière dans ce monde artificiel. Avec sa palette couleur douce et mirifique et la tenue de Belle en unique contraste lors de cette valse, là ou Millenium Parade est plus chatoyant, plus flatteur pour les yeux et surtout infiniment pétillant en tant que mise en bouche.


Immense aboutissement graphique et conte moderne émouvant comme rarement, doué de lyrisme et de poésie, teinté de touche humoristique bien accordée avec le propos et sa galerie de personnage réussi, Belle enrichi de la meilleure des manières une filmographie d’un auteur japonais capable de se distinguer de ses compères sur l’archipel, et qui confirme de mon propre point de vue sa place sur le devant de la scène en animation. Entre les légendes nordiques du Peuple loup, un voyage en terre post apocalyptique avec Raya et le dernier dragon, un blason redoré chez Sony Animation avec Les Mitchells contre les Machines et Hosoda transcendant son propos en territoire exploré, le bilan de l'animation au cinéma en 2021 se sera montré particulièrement chaleureux et enrichissant.

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5

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