L’application de la Politique de l’Enfant Unique date de 1979 en Chine. Elle fait suite à une première tentative pour limiter la démographie du pays. Dès le début des années 1970, le pays appliquait la politique du wan xi shao, littéralement « mariage tardif, naissances peu rapprochées et peu nombreuses ». Vu d’en France, cela donnait Quand la Chine s’éveillera... le monde tremblera (Alain Peyrefitte - 1973) livre témoignage sur l’état du pays en pleine Révolution Culturelle, les observations de l’auteur datant de l’été 1971. Versant plus populaire, on se souvient du refrain de Jacques Dutronc « 700 millions de Chinois, et moi et moi et moi » (1966) qui rappelle que si tout cela date quasiment d’hier, c’était avant la révolution Internet et à l’aube de la mondialisation telle qu’on la connaît.
Le fait est que la démographie sans frein de la Chine inquiétait, Dutronc n’ayant fait que rebondir (avec son inimitable sens de la provocation) sur un thème déjà familier. La Politique de l’Enfant Unique s’est traduite par l’application d’une lourde amende pour les couples donnant le jour, sur le territoire chinois, à un deuxième enfant. Etant donné que peu avaient les moyens (et l’envie) de payer cette amende, l’immense majorité des couples chinois se sont retrouvés avec un seul enfant. Ce dont on parle rarement, c’est des conséquences au quotidien. Ainsi, les enfants uniques sont devenus la norme. Des enfants ne côtoyant quasiment que d’autres enfants uniques, ignorant ce que cela serait d’avoir des frères et sœurs. On imagine ce que cela a pu donner sur les bancs de l’école.
Par petites touches, le film montre l’ambiance particulière dans une famille prête à s’agrandir. On se demande comment ils se sont débrouillés, mais je ne vais pas vous faire un dessin. Faï (Chen Kun) et Ting-Ting (Tian Luan) s’entendent bien (manifestations de tendresses, complicité et sensualité) et ils ont une adorable fillette. Et même si celle-ci s’enferme par mégarde dans la chambre, à la suite de quoi Faï donne un grand coup de pied dans la porte pour faire sauter le verrou, tout va bien dans cette famille. Seulement voilà, Ting-Ting est enceinte et elle se cache. Visiblement, elle redoute que les voisins comprennent son état.
Ils habitent Shenzen, ville chinoise située à une vingtaine de kilomètres de Hong-Kong où Faï travaille comme chauffeur d’une bourgeoise oisive, la belle Madame Li (Carina Lau). Faï conduit une Mercedes S 500, ce qui situe le film à notre époque. Cela colle avec le titre, puisque l’association (certes arbitraire) donne Mercedes Bends. Par contre, cela affaiblit le propos du film, puisque la Politique de l’Enfant Unique est désormais assouplie (depuis 2013).
Le sous-titre du film est Hong Kong/China, car on observe les allées et venues de Faï de part et d’autre de la frontière entre la Chine et Hong-Kong, frontière quasi symbolique puisque les conventions internationales ont fait de Hong-Kong une possession chinoise depuis 1997. Régulièrement sur place pour son travail, Faï cherche une solution pour que Ting-Ting puisse accoucher à Hong-Kong. Les maternités étant surchargées, il faudrait un passe-droit. Grâce à Lulu (Stephanie Che) jeune infirmière en chef dans un hôpital ? Elle et Faï semblent bien se connaitre, comme s’ils étaient frère et sœur. Pourtant, c’est lors de leurs retrouvailles que Lulu réalise qui partage la vie de Faï.
Madame Li ? Malgré la riche demeure qu’elle installe avec l’aide d’un architecte d’intérieur, ses rendez-vous en ville pour retrouver des amies au restaurant ou pour apprendre la danse, la belle élégante semble courir après une splendeur passée. Ni son mari ni sa fille ne sont visibles. De même, elle ne s’attarde pas chez sa mère.
Ce film, le premier de Flora Lau (coproduction entre Hong-Kong et France) adopte l’intelligent parti pris de montrer un maximum, tout en évitant le bavardage trop démonstratif. C’est intéressant pour montrer certains aspects de la Chine, surtout dans l’intimité de la famille. Malheureusement, l’impression finale reste mitigée car les scènes familiales restent très limitées en nombre, Ting-Ting restant cachée. La réalisatrice se concentre davantage sur la relation employeur/employé entre Faï et Anna Li. Si cette relation fonctionne, les deux personnes restent assez étrangères l’une à l’autre, par manque de dialogue. Finalement, chacun ses préoccupations.
Petite parenthèse : comment la législation a-t-elle été élaborée ? Y a-t-il eu une réflexion pour imaginer les effets sur le long terme ? La diminution des naissances entraine une déformation de la pyramide des âges, avec vieillissement de la population. Économiquement parlant, ce n’est pas du tout anodin, pourtant le film n’aborde pas cet aspect.
Il serait injuste d’oublier l’aspect esthétique, qui doit aux images du chef opérateur Christopher Doyle (un habitué de Wong Kar-wai, comme l’actrice Carina Lau), un casting réussi, des ambiances qui alternent intérieurs et extérieurs (diurnes et nocturnes) et quelques sites bien choisis, notamment la succession de virages sur une route symbolisant les allers-retours entre la Chine et Hong-Kong.
Malgré tout, la fin laisse perplexe, car si on imagine assez bien ce qui va se passer, on reste sur quelques manques, car la réalisatrice s’est contentée de suggérer quelques pistes sur les faits et gestes de certains personnages. Par exemple, il faudrait peut-être revoir le film pour comprendre la trajectoire exacte de Ting-Ting. On voit bien sa séparation d’avec sa fille au début, mais sa réapparition tombe comme un cheveu sur la soupe, alors que cela devrait constituer la touche finale de la connivence de la réalisatrice avec son spectateur.