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Quand un grand réalisateur s’attaque à des bondieuseries, je dois avouer que je suis toujours moins enclin à rentrer dans le jeu. Le Silence de Scorsese par exemple, aussi réussi soit-il, part de facto handicapé par un sujet de spiritualité qui ne m’intéresse guère. J’ai donc retardé le visionnage de Benedetta de longues années, sachant tout de même pertinemment que Paul Verhoeven ne pouvait traiter le sujet que de façon corrosive et frontale. Et en effet, ça n’a pas manqué.


Dès les premières scènes, on balaie tout doute quant à la santé mentale de Benedetta, et à l’intention du cinéaste. Scatologie, imagerie guerrière de nanar, gore potache… Le film est une vaste farce qui justifie ses écarts esthétiques assez laids par l’envie de faire dans l’outrance, le blasphématoire. Ainsi la nonne, folle à lier, navigue d’une hallucination à l’autre, femme du seigneur qui se retrouve bien embêtée lorsqu'elle se trouve une attirance charnelle pour une des novices. Ses visions, initialement condamnatoires, s’adaptent à sa luxure grandissante. Jésus qui pourfend le serpent de la tentation finit par lui ordonner se déshabiller pour son amante en devenir, montrant par la même occasion que l’on peut faire dire ce que l’on à la religion pour justifier nos actions (cf 12 Years a Slave). Un Jésus qui lui apparaît dénudé et asexué, la pauvresse ne sachant pas ce qui pourrait se trouver entre les jambes d’un homme (une image inspirée par un tableau de l’abbesse du XIIème Hildegarde de Bingen selon les dires du néerlandais). Benedetta multiplie les images factices fantasmagoriques (dont la laideur se justifie, mais n’en reste pas moins laide), accompagnant la déliquescence fanatique de son personnage (que Virginie Efira interprète sciemment en roue libre anachronique, pour le meilleur comme pour le pire).


Et pour cause. Que peut-on attendre d’une femme a qui l’on a appris au plus jeune âge à se méfier de son corps, à ne pas se sentir trop bien dedans? Alors même que l’accession au couvent se négocie comme une mule, en monnaie sonnante et trébuchante, que les hautes instances pensent politique plutôt que foi, que le nonce corrompu arbore avec espièglerie la servante qu’il a engrossé? Personne ne respecte les règles, et Benedetta se crée donc les siennes, tout en croyant dur comme fer à sa propre divinité. Il lui faut donc atteindre le rang d’abbesse, une des plus hautes places de pouvoir pour une femme dans cette époque d’obscurantisme, afin d’avoir sa propre pièce de vie, et d’explorer sa sexualité loin du regard hypocrite de ses sœurs. Et s’il faut forcer la main céleste pour être reconnue digne, ainsi soit-il. Les ficelles étaient déjà employées lors de l’ascension théâtrale en début de récit, elles resserviront ici. L’instrument de contrôle religieux échappe à ses instigateurs, et Benedetta mêle souffrance et désir, spiritualité et pragmatisme, sexe et pouvoir.


Verhoeven signe un doigt d’honneur aux instances chrétiennes, dont la teneur pourrait se résumer en l’utilisation d’un gode-Marie lors des ébats saphiques de son héroïne, une façon d’affirmer que : religion fucks your brains out.


Frakkazak

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