Paul Verhoeven est un éternel franc-tireur. Un crucifieur de la bienséance. Un provocateur controversé. Son cinéma reprend sa place d’instrument de libération bien décidé à s’absoudre des contraintes morales contemporaines. Violences, plaisirs, horreurs. Le réalisateur s’attelle à tout montrer et à tout exposer sans concession.


Soit l’histoire vraie dans la Toscane du XVIIe siècle d’une nonne impliquée dans une relation lesbienne et pourvoyeuse de miracles. Le cadre est déjà assez révélateur. L’attrait pour la luxure n’est plus à prouver chez Paul Verhoeven. Et le choix d’un couvent (comme le choix de Virginie Efira pour le rôle principal) relève donc d’une certaine malice cohérente avec les intentions du film. Car le présent métrage n’est pas étranger au reste de la filmographie du réalisateur de Basic Instinct, il est une prolongation thématique avec tous ses points névralgiques : le sexe, la religion, la violence.


En ça, le film est un péché délicieux. Il aurait pu fournir une figure forte au lesbianisme, une martyre du patriarcat, ou conforter les vertus de la foi. Verhoeven décide plutôt de fournir une charge subversive et contestataire. Il cherche à salir la vision propre et pure que nous pouvons avoir sur les gens et les choses. Parfois avec insolence, parfois avec humour, ou les deux en même temps. Car oui, avec Benedetta les émotions contradictoires convergent et les tonalités se modifient constamment. A tel point qu’il est autant admis de rire que d’être séduit puis dégouté. On pense évidemment à ces scènes oniriques et humoristiques qui mettent en scène Dieu en chevalier sauveur, soulignant ainsi l’immaturité globale de l’œuvre. Mais si le grotesque s’invite facilement, ces scènes partagent aussi le temps du métrage avec des moments convaincants dans le rôle de la provocation. De la vue d’une maladie infectieuse qui répugne, jusqu’aux scènes les plus sulfureuses dans un lit. Toute l’ambiguïté du cinéma de Verhoeven s’emploie à traiter les ressorts cachés de l’âme humaine.


Débarrasser des conventions sociales du puritanisme, la sexualité qui fascine tant Paul Verhoeven redevient l’agent majoritaire d’une grande réflexion. Car dans cet environnement castrataire, c’est par l’attrait du sexe que Benedetta Carlini s’interroge sur son identité, son essence véritable, son rapport au corps. Et c’est bien sa relation interdite qui libère ses véritables sentiments. Par la résultante d’une écriture de personnage savamment orchestrée et dosée, le sexe s’émancipe de son caractère blasphématoire pour muter en une passion libératrice. Bien plus que des scènes torrides, le langage des corps devient un outil pour faire émerger des mots et des idées. Ici, le regard singulier du réalisateur rend justice à la stupéfaction dans le but de questionner intelligemment plutôt que de choquer inutilement.


La libération de Benedetta est salutaire dans ce couvent de nonnes, maison de Dieu, qui s’apparente pourtant davantage à une modeste mais significative représentation de l’enfer sur Terre. L’attachement est prohibé. L’amour est prohibé. Par la foi, aucune place n’est réservée à l’existence individuelle en prônant le collectif. Et pourtant, ces règles divines y cachent les véritables apparences. Comme souvent, Verhoeven aime dévoiler le rôle des affects humains fondamentaux. Ici, le récit gratte les façades un peu trop resplendissantes de la vie pieuse pour faire resurgir tout le mal qu’elles dissimulent. C’est ce lieu Saint précisément qui révèle l’envers vicié de la religion. La jalousie et l’hypocrisie y corrompent les âmes comme partout ailleurs : la mère supérieure aime l’argent, le corps parfait de Benedetta attise la convoitise, le Nonce n’a pas la foi, et les relations entre les sœurs stimulent un concours lié à la pureté spirituel et au rang social.


Reste alors le cas particulier de Benedetta qui développe plus encore l’opacité de la narration. Au milieu de cette atmosphère austère, notre protagoniste est autant le fruit du mal qu’une victime de sa situation. Mais jamais le récit ne statuera véritablement sur sa personne. Car c’est bien ce point essentiel du film qui lui fournit une double épaisseur : l’ensemble livre une bataille pour la vérité entre la mythomanie, la folie, ou l’intelligence de s’accaparer les codes de son univers pour mieux les retourner contre les autres.



Conclusion :



Avec Benedetta, toute l’ambiguïté du cinéma de Verhoeven traite les envers viciés de la religion, les ressorts cachés de l’âme humaine, et le corps humain dans sa nudité. Le réalisateur abolit les frontières du grotesque, de la violence, et du sérieux pour traiter dans un tourbillon de contradictions tous les points névralgiques de sa filmographie : le sexe, la violence, la religion.



On ne comprend pas toujours les instruments de Dieu.


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le 12 nov. 2021

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