Une scène.
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C’est étonnant que Benny’s video ne soit pas plus apprécié par les adorateurs de Funny Games ou du cinéma de Haneke en général. On est pourtant là au cœur de toute son œuvre à venir, avec déjà des prémisses du chef-d’œuvre que sera Caché. On y trouve tous les registres et thématiques les plus chers au cinéaste : les questionnements autour du pouvoir des images, de la culpabilité, la violence, l’impact qu’elle a sur l’individu et la façon dont elle se transmet entre les générations, des effets de distanciation, de la tension, … C’est à cet égard un film bien plus riche que son premier, Der siebente Kontinent, qui se résumait grossièrement à une famille qui pète un câble contre la société de consommation, mais on reste dans la période où Haneke est encore extrêmement froid et attache le plus d’importance au malaise et à la réflexion.
Ici, tout tourne autour du flux d’images dans lequel la société baigne, de la violence de ces images et de la façon dont elles modifient notre rapport à la réalité. Il ne s’agit pas, comme on pourrais le redouter avant de voir le film, d’un discours moralisateur et complétement simpliste où un gamin devient violent parce qu’il a vu trop d’images violentes. C’est beaucoup plus complexe que ça et surtout, Haneke ouvre beaucoup de portes et pose beaucoup de questions, donne des pistes, mais ne répond à rien, nous laisse libres de décider qui est vraiment coupable entre le gamin, les parents, les images ou la société en général. Le crime en lui-même est d’ailleurs quasi accidentel. En voulant imiter ce qu’ils voient au cinéma et à la télé, les enfants se provoquent en utilisant un pistolet d’abattage et le garçon blesse gravement la fille sans penser aux conséquences, puis quand il entend ses cris et comprend qu’il n’est pas dans un film, il panique et l’achève. Là où c’est très juste, c’est que sa réaction et celle de ses parents sont anormalement calmes, comme si sa connerie était tellement énorme qu’elle se traduisait par une non-réaction, une aphasie totale : juste après le meurtre, Benny va simplement dans la cuisine pour terminer son déjeuner. Tout est très ambigu et ça retranscrit brillamment le sentiment de la culpabilité des personnages.
Contrairement à ce qu’on peut croire, il ne s’agit pas d’un cinéma sans émotions, mais d’un cinéma où toutes les émotions des personnages sont ravalée, cachées, refoulées. On les sent extrêmement troublés, mais sans savoir exactement de quoi il en retourne. Ce n’est pas froid, c’est gelé. Ce n’est pas que les personnages ne pleurent pas, mais qu’ils pleurent en tournant le dos à la caméra. Je crois que si ces films dérangent autant et ont une telle force de suggestion, c’est parce que ce sont des films sociopathes, où Haneke a bien conscience de l’horreur qu’il filme et où les sentiments sont omniprésents, mais où il nous refuse toute échappatoire, toute décharge émotionnelle en empêchant à ces sentiments de s’extérioriser pour de bon. C’est ce qui fait qu’Amour est l’un des films les plus dérangeants sur la mort qui aient jamais été réalisés.
Et puis il n’y a jamais de psychologie bancale. Le réalisateur a conscience que les émotions sont trop complexes pour être résumées à un mot, une expression faciale, et que les causes d’un crime sont multiples. Donc il filme les gestes, les actions de la façon la plus neutre possible, sans donner la moindre explication. Ses films sont des films d’actions (et pas d’action), où tout est dans les gestes, dans ce que font objectivement les personnages, et où l’on est sans cesse mis à distance, questionné, et en même temps placé dans des positions assez dérangeantes, comme lorsque d’un seul coup, on voit la scène de crime à travers un écran (un double écran : un diégétique et l’autre extradiégétique), ce qui nous confronte subitement à une image de film, mais une image de film dans laquelle, pour une fois, la violence n’est pas aseptisée.
Benny’s video est donc assez brillant, mais peut-être un peu trop distant, trop brechtien et réflexif et par conséquent moins puissant que quelques pépites que Haneke tournera plus tard. La totalité des motifs et thématiques de ce film programmatique seront repris et approfondis par le cinéaste dans la suite de sa carrière. C’est donc probablement le film idéal, avec Funny Games, pour commencer le cinéma de Haneke.
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le 10 déc. 2023
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