Qu'est-ce qu'il est bon quand même ce Chabrol. J'adore la manière dont il traite le genre policier. Il confectionne ce que l'on pourrait appeler des polars à la truffe, des films avec une ambiance que l'on ne retrouve nulle part ailleurs, extrêmement savoureuse et distinguée.
Que la bête meure est une tragédie au sens où tout semble couler tranquillement vers une fin inéluctable. Les actions des personnages pourront faire changer le chemin emprunté, c'est vrai. On ne sait jamais trop par quels détours Chabrol va nous emmener, mais on sait où il veut aller et on est sûr qu'il ira. L'identité du meurtrier changera peut-être, l'arme et le lieu du crime aussi, mais la bête doit mourir et elle mourra quoi qu'il arrive.
De cette façon, ces films policiers sont d'un calme et d'une tranquillité sans commune mesure. Il y a des meurtres, mais ce sont des meurtres raffinés, littéraires. C'est l'Iliade. C'est la beauté du geste qui compte. La vengeance doit être savourée comme un bon caviar, sans jamais côtoyer le tire-larmes. D'ailleurs il doit y avoir deux plans dans ce film qui résument tout le génie de Chabrol : celui où, alors qu'un personnage cite un magnifique passage de la littérature d'Homère, une cigarette se consume au bord d'un cendrier, et celui dans lequel on découpe et désosse soigneusement un canard avec des couverts en argent tandis que les personnages préméditent un meurtre.
Au début, on ne sait pas trop quelle direction va prendre le film, on pourrait croire qu'il s'agit d'une enquête à travers toute la France pour retrouver un criminel. Sauf que celui-ci est en fait très rapidement – et assez miraculeusement – identifié, que l'on se retrouve assez vite dans une grande demeure bourgeoise en bord de mer, et c'est à ce moment qu'on comprend que le film sera aussi savoureux que La Cérémonie, peut-être même plus.
C'est sans compter l'excellent jeu de Jean Yanne, qui incarne merveilleusement bien le rôle du parfait salaud, et qui offre un beau contraste avec la sobriété et la froideur du personnage de Michel Duchaussoy. Une délectable tension se crée entre les deux, notamment lors de l'excellente scène où ils font de la voile. La caméra est d'abord un peu chaotique, l'agitation de la mer inquiète le personnage de Yanne, on croit que la vengeance va se concrétiser, mais celui-ci finit par prendre le dessus, filmé pour la première fois de façon imposante, débordant du cadre, puis la scène se termine sur une tirade glaçante de Duchaussoy.
En revanche, ce film se distingue un peu de ceux que Chabrol a pu faire à la fin de sa carrière, ou même du Boucher, dans lesquels les dialogues sonnent toujours très vrais. Ici, il n'y pas de longs moments où les personnages parlent de tout et de rien, ce que j'aime beaucoup quand c'est bien fait. Dans Merci pour le chocolat ou La Cérémonie, on saisit rapidement la personnalité de chacun sans passer par de lourdes explications. L'écriture est plus manifeste dans Que la bête meure, ce qui fait qu'on ne ressent pas trop d'interactions et de vie entre les membres de la famille. Ceux qui sont laissés au second plan n'ont même pas vraiment de personnalité. Ce n'est pas trop gênant ceci dit, parce que d'une part, cette famille est censée être tout sauf soudée, et surtout, remplie de faux-semblants, et d'autre part, l'aspect littéraire du film est très travaillé : le personnage principal est écrivain, note toutes ses intentions meurtrières dans un carnet, des parallèles entre le film et les grandes tragédies grecques sont ouvertement établis, et la dernière séquence est une sorte d'envolée poétique sur un air d'opéra.
En tout cas, on peut dire qu'à l'enseigne de Claude Chabrol, la vengeance est un plat raffiné, qui se mange froid.