Curiosité cinéphilique absolue, Berberian sound studio réussit la prouesse de combiner hommage appuyé et esthétique maniérée, sans jamais sombrer dans la copie scolaire ou le vintage béat. Devenant lui-même objet de cinéma, le film de Peter Strickland impose un ton singulier, sorte de lecture entre les lignes des genres qu'il célèbre.

Construit en lisière du cinéma bis des années 70, Giallo en tête, mise en abyme plus finaude qu'on pourrait le croire, Berberian sound studio propose un mystérieux voyage, balade imaginaire et sensitive au cœur d'un studio de post-synchronisation. Il s'agit pour Gilderoy, ingénieur du son spécialisé dans les documentaires, de réaliser le mixage d'un film d'horreur particulièrement gore. On ne verra du film que le générique, mais ce qu'on entendra nous permettra aisément d'en saisir l'essence.

Plus suggestif que narratif, le film avance tranquillement, puis nous intrigue avant de nous perdre. S'il arrive que l'on décroche, on demeure jusqu'au bout imprégné de l'atmosphère presque irréelle progressivement mise en place. Tout se passe en intérieur, dans une obscurité trouée de lumières aveuglantes ou indirectes, le héros passant du studio à son petit appartement, se concentrant sur les sons à mixer, ceux qu'il enregistre, ceux qu'il faut fabriquer. Il faut faire crier des actrices, éventrer des pastèques, écraser des courgettes, poignarder des choux.

Puis il y a les sons qu'il a apportés pour lui, ceux qu'il écoute seul, les pas de sa mère, le tic-tac de l'horloge. Puis il relit les lettres de sa mère qui parlent de petits oiseaux, de nature apaisée. Puis tout se mélange.

La mise en scène est brillante, la lumière parfaite. Le film joue constamment sur les contrastes, égrainant les stéréotypes pour nourrir une ambiance inquiétante et immatérielle. C'est la réserve anglaise contre l'exubérance italienne, la naïveté des actrices, l'hostilité des techniciens, les légumes sacrifiés pourrissant dans un coin.

Ni relecture post-moderne, ni tambouille décalée, Berberian sound studio s'impose comme un exercice de style délicat et mélancolique, un peu névrosé, à l'image de son acteur principal, le singulier Toby Jones.
pierreAfeu
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le 4 déc. 2013

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