Deux documentaires sortent, cet automne, en France, prenant pour objet la figure fascinante du maître suédois. Mais ce documentaire a l’avantage sur son prédécesseur, « À la recherche d’Ingmar Bergman » par Margarethe von Trotta, de rester centré sur le personnage d’Ingmar Bergman (14 juillet 1918 - 30 juillet 2007), sans que la réalisatrice se prenne elle-même pour objet, comme le faisait sa consœur allemande. Le film gagne ainsi en cohérence, en intensité et en profondeur.


Construit lui aussi sur un savant tissage d’images d’archives, il n’est accompagné qu’en voix off - et en anglais !... - par la réalisatrice compatriote de Bergman, Jane Magnusson, qui laisse ainsi le maître régner sans partage sur son documentaire. On y retrouve, approfondis, certains des thèmes explorés par Margarethe von Trotta ( la force de travail, l’importance des femmes, l’indifférence relative aux enfants...), mais ceux-ci prennent plus de démesure et la folie tyrannique du monstre sacré y devient davantage palpable. Ses tourments, aussi, comme l’ulcère à l’estomac qui lui interdisait le sommeil et l’asseyait fréquemment à sa table d’écriture lors de nuits douloureuses.


Apparaît également la longue et passionnante interview du frère aîné de Bergman, qui dévoile, dans l’enfance, les capacités d’empathie du futur génie : à preuve, l’intégration, dans son film le plus autobiographique, « Fanny et Alexandre » (1982), de mauvais traitements repris à son compte, alors qu’ils avaient été administrés à son frère Dag, souvent cible de la cruauté paternelle, lorsque Ingmar lui-même tenait le rôle plus confortable de l’enfant choyé et adulé ; déjà...


L’approche conduite par Jane Magnusson projette un éclairage particulier sur l’année 1957, à la fois particulièrement féconde (sortie des films « Le Septième Sceau » et « Les Fraises sauvages », tournage de « Au Seuil de la vie » et « Le Visage »), et particulièrement tourmentée sur le plan personnel. Mais la réalisatrice suédoise, qui ne s’est d’emblée pas limitée à cette année-là, ne se prive pas non plus d’accompagner son illustre aîné jusqu’au terme de son existence, qui s’inscrivit sur son île, Fårö, comme en un rendez-vous depuis longtemps fixé avec l’homme au visage de mort.


En ressort le portrait d’un créateur au physique d’acteur, infiniment riche et fascinant, mais autant dévoré par l’existence qu’il se sera lui-même conduit en ogre vis-à-vis d’elle.

AnneSchneider
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le 25 oct. 2018

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Anne Schneider

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