Ne serait-ce que pour la prouesse cinématographique qui recèle une primeur indiscutable, on a envie de saluer le travail de Walter Ruttmann. On peut l'applaudir ici, précisément, parce que dans les années qui ont précédé il a réalisé une série de courts-métrages d'animation relativement peu intéressants, et dans les années qui suivront il se retrouvera du côté du nazisme avec Leni Riefenstahl, avant d'être tué sur le front russe en 1941 alors qu'il tournait un film de propagande pour le régime.


Je formulerais tout de même quelques réserves préliminaires. Tout d'abord, Ruttmann arrive 20 ans après les frères Miles qui réalisaient en 1907 un court-métrage documentaire hypnotisant : A Trip Down Market Street Before the Fire, dévoilant l'activité impressionnante d'une rue de Los Angeles peu avant le tremblement de terre qui fera des milliers de morts et dévastera les lieux du tournage. On pouvait déjà voir dans ce court document une forme de symphonie visuelle, où un ballet improvisé de voitures, de charrettes et de passants s'organisait devant les yeux de la caméra (positionnée à la tête d'un tramway) dans un lent mouvement rectiligne constant. Ensuite, si on peut difficilement ne pas voir Ruttmann comme un disciple de Dziga Vertov, ce film peut donner l'impression d'être une ébauche de L'Homme à la caméra, certes antérieure d'une paire d'années, mais à la fois plus grandiloquente et plus conventionnelle d'un point de vue purement technique. Enfin, l'accompagnement musical servi aujourd'hui avec la pellicule silencieuse a tendance à provoquer quelques sursauts liés à l'anachronisme de la manœuvre (composition originale ou pas, c'est aussi la précision et la netteté du son qui détonne presque paradoxalement avec les images, beaucoup plus rugueuses et imparfaites).


Ceci étant dit, cette symphonie orchestrée dans les rues de Berlin, après la catastrophe de la fin de la Première Guerre mondiale et avant la crise boursière de 1929 voire l'avènement du nazisme, dispose de sérieux atouts. 5 actes découpent 5 temps dans la journée-type de la capitale, de l'aube au crépuscule, au fil des différentes activités des différents corps de métier. Le montage digne des cinéastes de propagande soviétique de l'époque enflamme la pellicule et concentre l'action dans quelques séquences particulièrement mouvementées, insufflant une vitalité incroyable à l'ensemble. Le sens du rythme est vraiment fascinant de maîtrise, avec les temps forts agréablement pondérés par des temps plus calmes, et avec cette armée de machines et de métal qui envahit régulièrement l'écran. Le sens de la mise en scène, aussi, se dessine au détour de quelques séquences qu'on imagine au moins légèrement scénarisées, à l'image de l'altercation de deux passants dans la rue. Le "ciné-oeil" est déjà là. Walter Ruttmann se fait parfois un peu répétitif ou du moins insistant dans l'utilisation de l'analogie, en dressant des parallèles de manière quelque peu abusive voire dénués de sens (la classe aisée qui prend son repas comme le lion dévore sa carcasse, par exemple).


En 5 temps, Ruttmann fait le tour de la ville en passant par les trains et leurs réseaux de chemins de fer, par les hauts fourneaux et les usines qui dépeignent l'activité industrielle, par tous les habitants qui s'activent au lever du jour en direction du bureau ou pour ouvrir les vitrines, par les rues qui s'emplissent progressivement, et par les activités de loisir au cours de la journée avant que les activités nocturnes n'envahissent le champ. Déjà, au détour de quelques séquences, l'opulence des uns et la pauvreté des autres formaient un contraste simple et net que le cinéma s'empressait de capturer.


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Morrinson
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le 3 sept. 2019

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