Dupontel a toujours voulu faire du cinéma, et après avoir pris son mal en patience, notamment dans du stand up à succès, il est déterminé à frapper un grand coup pour son premier long métrage. Bernie sera original, corrosif et déjanté, autant d’ingrédients pour créer un film culte.


La séquence d’ouverture annonce la couleur : pour son acte de naissance au cinéma, son personnage se fraie un chemin dans une végétation touffue avant de s’en extraire, celle-ci formant un triangle qui domine la ville. Entre la malice provocatrice et le l’inventivité visuelle, la ligne de crète est définie, et le jeune réalisateur ne s’imposera aucune limite, enfilant les audaces comme des perles vouées à marquer la mémoire patrimoniale, que ce soit dans les désirs d’amitié avec une hyène, la dévoration d’un canari ou l’aiguisage de pelle sur glissière d’autoroute.


L’odyssée punk de son personnage se fait sur une mystification, une thématique qui s’avérera centrale dans les récits à venir de Dupontel : on invente, par besoin de fiction, sa destinée, dans une réalité alternative qui permet de supporter la déception du réel, et l’on avance coûte que coûte avec la force de ce programme. L’enfant abandonné imagine ainsi une ascendance américaine, des parents aimants et une petite amie, quand la réalité révèle aux yeux du spectateur un violeur pervers, une michto violente et une héroïnomane cynique. A la saveur du contraste s’ajoute la fantaisie avec laquelle le marginal progresse, et la manière dont le hasard lui donne raison, un autre motif crucial : chez Dupontel, la catastrophe est une réaction en chaîne qui permet toujours de maintenir les illusions, et accroître la fuite en avant d’un personnage qui, loin de se réconcilier avec le monde, en révélera les manquements et l’explosera joyeusement en se fracassant contre lui. La violence, pour frontale qu’elle soit, est donc toujours festive, teintée d’humour noir ou de grossièreté cartoonesque, qu’il s’agisse d’un viol sur un piano à queue ou d’un couple s’entre-tuant grâce aux appareils électro-ménagers, d’une tête qui explose ou d’une fouille rectale. La laideur, omniprésente, que ce soit dans les trognes, les milieux fréquentés est accentuée par le grain vidéo des séquences filmées par le protagoniste, qui achève de faire du récit une œuvre de la marge, libertaire et décapée. La tendresse, qui prendra de l’ampleur dans les films de la maturité, se fait donc encore discrète, mais reste une constante : par une initiation sexuelle dans un transformateur électrique, une poésie de chaque instant pour illuminer le monde d’explosions à haute tension, et une course finale qui laisse définitivement la place au cinéma fantasmé : Dupontel est dans la place, et ne la quittera plus.

Sergent_Pepper
7
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Comédie, Conversation avec mon moi jeune, Humour noir, Vu en 2021 et Revu en 2021

Créée

le 25 mai 2021

Critique lue 926 fois

35 j'aime

1 commentaire

Sergent_Pepper

Écrit par

Critique lue 926 fois

35
1

D'autres avis sur Bernie

Bernie
Boba
9

Les enculés d'en face, y' font moins les malins !

Bernie peut être interprété de deux façons. La première, la plus plaisante pour le spectateur lambda mais non moins averti qui cherche seulement à se marrer un bon coup devant sa télé, est celle d'un...

Par

le 6 mai 2012

84 j'aime

5

Bernie
JZD
9

"J'en ai ras l'bol du moche, du médiocre, du sordide."

A la première vision, Bernie est sale et violent. On se laisse porter, stupéfié, toute la première partie du film. Jusqu'au combat entre ses parents. La caméra se promène entre saut violent et...

le 17 janv. 2011

51 j'aime

1

Bernie
Plume231
7

L'Ami des hyènes !

« Fini la branlette ! M'en fous j'suis gaucher ! » Vous êtes amateur de bon goût, de subtilité, de finesse, de bons sentiments, cassez-vous vite, barrez-vous tout de suite, fuyez...

le 19 sept. 2020

43 j'aime

5

Du même critique

Lucy
Sergent_Pepper
1

Les arcanes du blockbuster, chapitre 12.

Cantine d’EuropaCorp, dans la file le long du buffet à volonté. Et donc, il prend sa bagnole, se venge et les descend tous. - D’accord, Luc. Je lance la production. On a de toute façon l’accord...

le 6 déc. 2014

774 j'aime

107

Once Upon a Time... in Hollywood
Sergent_Pepper
9

To leave and try in L.A.

Il y a là un savoureux paradoxe : le film le plus attendu de l’année, pierre angulaire de la production 2019 et climax du dernier Festival de Cannes, est un chant nostalgique d’une singulière...

le 14 août 2019

715 j'aime

55

Her
Sergent_Pepper
8

Vestiges de l’amour

La lumière qui baigne la majorité des plans de Her est rassurante. Les intérieurs sont clairs, les dégagements spacieux. Les écrans vastes et discrets, intégrés dans un mobilier pastel. Plus de...

le 30 mars 2014

617 j'aime

53