Aimeriez-vous être regardé dans les yeux de longues minutes par un buffle bavant ? Voici une des expériences que vous proposera Denis Côté avec son film ‘‘Bestiaire’’. Drôle d’objet que voilà, animé par une ambition simple, modeste, présenter simplement un regard inédit sur les animaux, autre que l’habituel bêtisier où des situations cocasses nous sont montrées accompagnées par une voix-off pesante humanisant leur comportement. Est-ce un film, une installation d’art moderne (pas étonnant d’ailleurs que la seule salle passant le film soit celle de Beaubourg), ou un réceptacle à ennui, Denis Côté accepte toutes ces catégories et laisse le spectateur choisir seul de ce que le film peut être pour lui.
Voilà un bien étrange réalisateur où au contraire de nous guider vers son point de vue bien à lui, nous laisse seul avec son film, nous laissant y projeter notre propre personnalité, et nous faisant même nous demander à chaque plan si il n’a pas laissé la caméra tourner sans lui pour aller boire des cafés. Mais cet effacement significatif de l’auteur a eu pour effet de retourner le dispositif contre lui. Car alors qu’il clame cette absence de discours, expliquant qu’il aurait tout autant pu choisir de filmer une bijouterie ou un supermarché, les images dépassent bien vite leur auteur, le sujet lui échappe, et la réalité présentée nous est vite extrêmement dérangeante.
Une autruche fait les 100 pas devant un grillage, des Zèbres affolés cherchent à s’échapper du cadre en vain, le cadenas d’une cage tremblent sous les coups des Lions à l’intérieur, une hyène est pressée contre sa cage jusqu’à ce qu’elle ne puisse plus bouger pour la piquer, des touristes souriant regardent un Lion immobile semblable à une carcasse. Le plan des caméras de surveillance où nous ne distinguons sur les images que des cages est sans équivoque, c’est une prison qui nous est montrée. Voilà le seul rapport qu’entretiennent les hommes et les animaux, à travers des barreaux. Les gros plans où des animaux nous regardent prennent alors un tout autre sens, devenant presque une accusation.
Oui, Denis Côté n’en a ‘‘rien à foutre’’ des animaux, et c’est ce qui fait que ces images ne mentent pas : ‘‘Bestiaire est à l'image de la séquence des zèbres : ambigu, contaminé par une couleur grise et sombre. Ça m'a échappé. […] Je peux revoir Bestiaire deux cents fois, je ne l'ai toujours pas dompté.’’
Le fait qu’il ne soit pas venu dans le but de dénoncer les parcs zoologiques rend le résultat encore plus beau, car un cinéaste qui se serait voulu subversif à la base n’aurait pas pu s’empêcher d’appuyer cette souffrance animale par des effets qui se seraient sans aucun doute révélés lourds et contre-productifs, alors qu’ici de simples cadrages rigoureux et sans arrière-pensées conscientes deviennent vite révoltant à regarder et beaucoup plus efficace que n’importe quel discours de Brigitte Bardot.
Du Michael Haneke animal.
Oui, le film de Denis Côté peut provoquer de l’ennui, simplement parce qu’il ne filme rien d’autre que ça, mais à la différence de nous pour qui l’ennui ne durera que 72 minutes, il ne faut pas oublier que pour ces animaux, il sera l’unique élément de toute leur vie.