Comme un récalcitrant à l’univers musical proposé par ce Gus (sorte de Christophe Maé Albion), mes attentes étaient descendues au plus bas échelon, espérant au moins être amusé par le singe dansant. Une idée qui pourrait rivaliser avec un certain amusement bête, comme celui de voir Lemercier rétrécir dans un corps d’enfant ou Pharrell et ses potes en Lego, tout en évitant soigneusement le supplice de voir Aznavour à la sauce gangster.
Et pourtant, je me suis découvert épris, non pas nécessairement de sa musique, mais de son récit. On y voit un chimpanzé participer à des partouzes au beau milieu de l’effervescence artistique de l’Angleterre des années 90, se poudrer les narines, s’enfoncer une aiguille d’héroïne dans ses veines poilues et foncer tête baissée dans la circulation en sens inverse, tout en hurlant des paroles de Boys Band. Entre ces scènes, il partage des moments étonnamment humains avec ses proches, formant une sorte de blague darwinienne sur le récit classique du showbiz. Les autres personnages ne réagissent jamais à sa condition ni ne le voient tel qu’il se perçoit : coincé à un stade évolutif qui évoque l’adolescence, avec des membres allongés, des poils, etc.
Robbie a déjà mentionné à plusieurs reprises qu’il pensait se situer sur le spectre de l’autisme. Il se fait singe parmi les humains, “humain mais inhumain” — un choix qui, combiné à ses expressions et à son faciès simiesque, s’intègre parfaitement au sens spectaculairement grandiose du réalisateur de The Greatest Showman.
Son enfance peu prometteuse, dans un quartier populaire de Stoke-on-Trent avec sa famille nucléaire, est marquée par son père, comédien raté (Steve Pemberton). Ce dernier lui transmet une prémisse qui façonnera son identité adolescente : « Tu es né avec, ou tu n’es personne. » La forme et l’art importent peu ; Robbie développe un rapport obsessionnel avec le spectacle et les projecteurs : « Ce qui compte, c’est si les autres aiment ce que vous faites. » Ce credo est symbolisé par un peigne, seul lègue paternel, transmis quand son père l’abandonne avec sa grand-mère et sa mère pour partir en tournée dans des petits bars comiques.
Ce qui distingue Better Man des productions commerciales habituelles de l’industrie du disque, c’est qu’il ose une touche de folie, d’humanité et de sensibilité. Il propose une perspective d’initié sur le monde du spectacle, racontée par un ancien pauvre ayant réalisé tous ses rêves, mais qui reste inchangé et aliéné parmi les homo sapiens. Et c’est une preuve que la qualité musicale d’un artiste n’est pas indice d’un bon film.