César Ad Rubiconem, Coppola Ad Abyssum

Mon expérience de visionnement a été dans des conditions des plus propices peu vues depuis la fin du séquestrèrent COVID. Dans une salle moderniste huppé hi-tech de 500 places, je me suis posé seul bien au milieu de tous les sièges vides, unique spectateur prêt à m'immerger visuellement et sonorement dans ce monde, cette vision lapidaire de 120 millions d'un maitre du cinéma incontesté.


Et je me demande, l’artiste qui a sans aucun doute réalisé le film le plus populaire du dernier demi-siècle, Le Parrain, est t-il déconnecté ?


Les signes s’annonçaient déjà de prise : avec la bande annonce truquée de fausses critiques par AI, Adam Driver avec sa tête à claques et sa coupe immonde, De Niro et Spike Lee pour nous dire à quel point le film est important et que Trump ne pourrait jamais faire du cinéma, un réalisateur incapable de faire une simple surimpression numérique…


Bref, tout pour se tenir à l’écart et laisser Papi à son vin, ses maquettes et sa deuxième faillite.


En réimaginant la ville de New York comme la Nouvelle Rome, Coppola entend utiliser l’allégorie politique de science-fiction à grande échelle de Mégalopolis pour s’adresser au grand public populaire qu’il a légitimement engagé dans de grandes œuvres comme La Conversation ou Apocalypse Now.


Megalopolis constitue également une déclaration personnelle des angoisses artistiques d’un Coppola désengagé, paterfamilias et artiste qui se sent pousser des responsabilités sociales depuis que les libéraux, si bienveillants et gentils, n’ont pas pu empêcher Trump, vues à travers le personnage de César Catilina (Adam Driver), un jeune architecte et visionnaire basé sur Lucius Sergius Catilina, le démagogue romain subversif de 80 avant Jésus-Christ, et le conflit dans cette construction utopiste qui oppose aussi le personnage du Maire conservateur bienveillant Cicero (Giancarlo Esposito), de son oncle billionaire (Jon Voight) et de son cousin dévergondé et dérangé (Shia LaBeouf). Mais Coppola n’arrive pas à suivre le Millénaire. Sa folie plutôt que sa fable a dépassé son imagination boomeresque. La mégalopolis est un reflet inadéquat, moche et con d’une sorte de bienveillance populiste où le jeune grand artiste éphèbe sauve le monde démocratique de sa décadence par son gesamtkunstwerk et avec une substance appelée le Megalon, qui possède toutes les propriétés et peut tout faire (transmettre des données, afficher des images...) incluant arrêter le temps, qu’il utilise pour contruire une utopie bio-maximaliste socialiste et qui nous sort de phrases de genre : « Il est temps d’avoir un débat sur le futur. » Coppola suggère-t-il le bolchevisme pour nous libérer du capitalisme (quoique, le nazisme aussi est une solution qui va de pair, si c’est juste ça, non ?)


L’allégorie romaine – dans laquelle César aspire à changer de gouvernement tout en accomplissant son propre petit orgueil créatif, bénéficiant des avantages d’une célébrité inconstante est le caprice d’un réalisateur dépassé par son hubris. Driver (Kylo Ren dans les redémarrages de Star Wars, maintenant avec une tête ridicule de Dany Caligula) entouré de stylisations maniérées d'excès sociaux est une erreur de calcul. L’adversaire de César, le vieux maire conservateur de Nouvelle Rome, Cicéron (Giancarlo Esposito), conseille le jeune con : « Les utopies n’offrent pas de solution toute faite. Les utopies se transforment en dystopies.» Le conflit entre le naïf César et le stéréotype de l’aîné Sage n’est ridiculement pas bien loin de ce que tous les adolescents fans de l’univers dystopique de Marvel Comics représentent déjà.


Lorsque autant de torches culs font consensus, de Libération aux Cahiers du Cinéma au Figaro et à L'Humanité, du New York Times au Washington Post, tous élogieux de Coppola pour son ambition démesurée, on peut s’attendre à de la médiocrité et de l'idiotie des plus crasseuses à venir. Faire l’éloge de Mégalopolis est une nouvelle forme d’élitisme démagogique. Les avant-premières des substituts hollywoodiens de Coppola ont prouvé que plus personne ne comprend en fait l’art, rien qu’à lire les illettrés qui ont raté les allégories simplistes et évidentes du film avec la politique contemporaine. On sent la grosse identification de Coppola sur le protagoniste blanc enfant visionnaire élu qui, de plus, est, en termes libéraux hollywoodiens, simplet et archaïque, sans aucune pensée claire dans le film qui n’a même pas la capacité en fait de représenter rien de concret dans la construction de son monde, contrairement au récit de Rand qui arrive à présenter l’architecture de manière à sublimer un récit allégorique. Toutes les phrases prononcées dans le film par son héros Merdeux boitent dans le vide. Les attentes sont diminuées, contaminées par une politique unilatérale où tout est réglé par la magie humaniste.


Si Coppola s'était concentré sur une vraie opposition idéologique, et non une fumisterie où le changement vient sans questionnement politique, Megalopolis aurait pu susciter un maigre intérêt. Mais son idée d’un maire urbain noir conservateur qui s’associe à un enfant élu socialiste défie toute crédulité. Megalopolis postule un monde d’autosatisfaction bobo-libérale désemparée, manquant tout ce qui touche à la vigilance contemporaine face aux conflits nationaux et à la sédition en cours. 


Coppola n’a jamais été nécessairement un vrai cinéaste politique, mais il ne peut désormais plus résister à cette impulsion (comme Scorsese dans Killers of the Flower Moon). Les échecs conceptuels observés dans cette mégalopole encombrante en font un monument risible au dérangement Trump.


Le format pop culturel du Parrain a fourni une orientation personnelle et ethnique qui a inspiré Coppola et l’a sauvé de ses propres vanités de petit étudiant en cinéma. Megalopolis pousse Coppola dans des fabrications narratives futuristes et demi-habiles incontrôlées (évoquant le voile shakespearien jeté par la mort de la femme de César, Marc-Aurèle, Rousseau, Hermann Hesse, piquant quelques pages à Rand au détour). Cette guéguerre entre le petit génie de première Musk-Coppola et son frère démoniaque Caligula-Trump n’est qu’embarrassante et donne juste envie de foutre une bonne baffe méritée à tous ses pseudo-visionnaires bleus qui nous somment de voter à chaque élection ; hélas, le temps ne le permettrait pas et la vie ne serait qu’un long galop plus loin que les urnes.

LaBeouf donne la seule performance divertissante du film, une scène de sexe en ombres et silhouettes avec Wow Platinum (Aubrey Plaza) qui est le pic du film. Clodio exploite la dystopie sociale que César ne peut éviter, encourageant la population noire de la ville à protester contre le réaménagement des logements de Cicéron et de César, une note d’ironie bienvenue qui rappelle son spectacle interactif de 2016 au Museum of the Moving Image avant de se faire remettre à l’ordre par un bon petit coup de pied au cul des agents appelés par des locataires pestés par les cris du couillon et des trolls sur place. Les intrigues du palais de Claudio (tentative de renverser Crassus, qui blesse Claudio en tirant des flèches de sa bite) initient le n’importe quoi du film, entre quelques plans whips dégelasses indignes des pires films adaptés de romans dystopiques pour ados. Renversement de l’unité que Griffith a accomplie un centenaire plus tôt dans son pinacle humaniste ’’Intolérance (1916)’’ et éloignée même de Lang, que le vieux crouton radoteur souhaite invoquer dans son dernier geste sénile, souillant des grands maitres au passage pour son dernier lever de rideau cinématographique par des incrustations numériques qu’il n’arrive même plus à composer dans son triste nadir.

Malgré des citations grandiloquentes d'Emerson et de Marc Aurèle, des segments de scène annoncés de manière sinistre avec des gravures en marbre et quelques plans passables (la statue inanimée de la Justice s'effondre instinctivement, le cauchemar de César de sa main dans un nuage agrippant la lune) pour correspondre à de nombreuses immondices, Megalopolis finit par couler. Coppola arrache des idées non assimilées à la paranoïa politique actuelle, à la philosophie, au cinéma, le tout mélangé avec une incohérence démente. La réception du mariage multiculturel de César, imitant le scénario tripartite de Napoléon d’Abel Gance, pourrait être le pire de ses nombreux pillages. Cela rend sympathique l’élan créatif de Coppola (cette main dans le nuage), mais rend impertinent son résumé trivial de la condition sociale et spirituelle d’aujourd’hui.


Ont est là pour un ratage bien en bonne et due forme, un film dont l’ambition rejoint le délirant Eldorado 3D (2012) plutôt qu’une grande frasque épique, un projet ambitieux, abstrait, abscon et risible gavée de stars payées comptant par un charlatan, sauf que Coppola a déjà été cinéaste.


Megalopolis se termine par une devise gravée sur « la vie, l’éducation et la justice pour tous », qui est sûrement l’épigraphe la plus puérile qu’un cinéaste socialement désengagé ait jamais demandé au public de prendre au sérieux. Rien n’est cohérent en tant que réflexion politique ou récit. Megalopolis est coincé entre le film maudit ultime de Coppola et une romantisation trépidante des impulsions sociales décontractées de la Nouvelle Babylone.


L’excès de F/X à Megalopolis semble mince et claustrophobe. Il manque le pouls d’une grande imagerie cinématographique et suscite pour la prophétie de Coppola lors de la cérémonie des Oscars de 1979 sur l’avenir numérique : « Nous sommes à la veille de quelque chose qui va faire ressembler la révolution industrielle à un essai dans une petite ville. » C’est la ruine.

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le 8 oct. 2024

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