Que ce soit bien clair, je trouve cela magnifique qu'un artiste, connu pour être particulièrement ambitieux, fantasque, mégalomane, opiniâtre, ait pu concrétiser un projet qu'il a porté durant des décennies. C'est d'autant plus fort que ce même artiste a l'allure frêle d'un octogénaire qui ne s'est pas soumis aux aléas d'un âge avancé, pour y parvenir, comme il ne s'est jamais soumis aux aléas de quoi que ce soit qui entravait ses ambitions, quitte à sortir tout le pognon de sa propre poche. Je tenais absolument à mettre en avant cela pour souligner combien je regrette de ne pas avoir aimé Megalopolis. Si vous l'avez apprécié, franchement, tant mieux. Et si vous ne l'avez pas encore visionné, je ne vous recommanderai jamais assez de vous faire votre propre opinion.
Pour moi, Francis Ford Coppola, par ce qu'il nous a offert lors des années 1970 (c'est-à-dire, évidemment, les deux premiers volets du Parrain, entre les deux, l'injustement oublié The Conversation, et pour conclure, le démentiel Apocalypse Now !), mérite sa place au panthéon des monstres sacrés du cinéma mondial. Après, pour les films postérieurs, donnant l'impression qu'il avait consumé une grande partie de son énergie folle sur le tournage catastrophique d'Apocalypse Now, je n'ai jamais réussi à avoir de gros coup de cœur, d'expérience de spectateur incroyable avec lui. Il y a une alternance pour moi entre des œuvres foisonnantes d'idées (bonnes ou mauvaises !) sur la forme, mais vides sur le fond, et des œuvres avec un fond, mais à travers une forme désespérément conventionnelle, qui auraient pu être mises en scène aussi bien par un yes-man de dixième zone. Cela résume ce que je pense de ce cinéaste.
Megalopolis, visuellement, est un mélange de références à la Rome antique (par des costumes, par des décors, par des coups de cheveux, par des types de spectacles, par des intertitres, par des accessoires, par des patronymes, par des toponymes !), quelques clins d'œil à la Renaissance, aux contes de fées et à certains classiques du septième art (notamment le Metropolis de Fritz Lang, mais je vais revenir plus en détails sur ce point après !). C'est triste à dire, mais la forme est moche ici. Le réalisateur se repose paresseusement sur le numérique, avec une photo qui abuse bien trop des lumières tamisées et des filtres dorés pour ne pas paraître peu excitante à regarder. En outre, le CGI et les fonds d'écran, ressortant de l'utilisation d'un panneau géant LED, sont en très grande majorité dégueulasses. Et c'est dommage parce qu'il y a trois exceptions qui font regretter que le Monsieur n'ait pas autant de rigueur pour tout le reste, à savoir les statues qui se meuvent, le plan avec le nuage en forme de main qui attrape la Lune ou encore cette mouche qui, si elle a été créée en numérique, est magistralement réussie, car ça ne se voit pas du tout. Ces trois moments détonnent qualitativement et c'est très gênant.
Côté scénario, ça se sent que Coppola a abusé sérieusement de la marijuana lors du tournage (il pensait peut-être recréer le miracle d'Apocalypse Now, pour lequel il s'était laissé aller au LSD... mais la limite des miracles, c'est leur extrême rareté !). La première heure est quasi uniquement un trip psychédélique lors duquel aucune intrigue, aucun enjeu, aucune motivation, aucune relation, aucun personnage n'est creusé. J'ai eu l'impression que dans la plus grande des confusions et des cacophonies, les personnages parlaient chacun dans leur coin, sans aucune interaction avec les autres. Puis, peu à peu, le cinéaste a l'air de s'éveiller doucement et commence à esquisser, bien trop tard, tout ce qu'il aurait dû déjà l'être depuis le début. Rien n'a le temps d'être pleinement creusé, développé, abouti. Y compris les nombreuses références cinématographiques intégrées aussi abruptement et superficiellement que tout le reste (en effet, par exemple, les références à la Rome antique sont plus illustratives qu'intégrées véritablement dans le récit !). Quand il ne pompe pas carrément toute une scène des Chaussons rouges de Michael Powell (celle lors de laquelle la fille du maire réclame sa lettre au protagoniste alors qu'il est en train de prendre son petit-déjeuner !), il cite pêle-mêle les propos et les thématiques de Metropolis bien sûr, de Things to Come de William Cameron Menzies, de The Fountainhead de King Vidor pour les films me revenant tout de suite en mémoire (il y en a bien d'autres, cela s'entend !).
Pour la distribution, très prestigieuse sur le papier, elle fait ce qu'elle peut avec le peu qui lui est fourni. Nathalie Emmanuel est un régal constant pour les yeux et est bien mise en valeur sur le plan esthétique. Aubrey Plaza a une couleur de cheveux n'allant pas du tout avec son teint. Ce qui l'affadit alors que c'est une femme physiquement superbe et une présence habituellement magnétique... un comble. Il n'y a que lors d'une scène sado-maso que j'ai entrevu le potentiel qu'aurait pu avoir son personnage (aux motivations et à la psychologique mal définies... ce n'est pas du tout une exception !) et ce qu'aurait pu y apporter la comédienne (mais c'est trop tard, comme le reste... je me répète !). Dustin Hoffman a le personnage le plus inutile du lot, en dépit d'une concurrence féroce dans ce long-métrage. Shia LaBeouf n'a certainement pas eu à trop se forcer en timbré entre Caligula et Donald Trump (ouais, sur la toute fin, on entrevoit une esquisse de discours anti-Trump... d'ailleurs, à un moment donné, il y a une référence assez explicite à l'assaut du Capitole du 6 janvier 2021 !).
Dans les dernières minutes, après tout ce magma visuel et scénaristique totalement foutraque, on saisit que ce que Francis Ford Coppola veut dire avec ce film, aux allures testamentaires (même s'il a des tonnes de projets comme s'il avait encore 200 ans à vivre et 100 milliards de dollars à disposition... ce qui est une attitude cool !), c'est de croire en vos rêves, de tout faire pour les entreprendre, de ne pas aller vers le côté obscur de la force, de croire en l'avenir. Et il a le droit de croire en cela. Sérieusement, si j'atteins un jour son âge, j'espère que je serai dans le même état d'esprit que lui.
Bref, pour en revenir au film même, l'intention est sublime, l'exécution beaucoup moins.