Dans la série des conversations avec mon moi jeune, Bienvenue à Gattaca se pose comme un objet problématique. Un bon souvenir de ce film vu il y a bientôt vingt ans, et qui je crois n’avait pas non plus fait grand foin à sa sortie, et une aura grandissante depuis, notamment sur Sens Critique où il jouit d’une solide réputation. Pour avoir vu d’autres films de Niccol (le réussi Lord of War, mais surtout, dans la même veine SF, les très médiocres Simone et Time Out) je ne savais plus trop à quoi m’attendre.
Bienvenue à Gattaca partage avec ces deux derniers une idée de départ diablement séduisante, celle d’une dystopie fondée sur la dictature de l’eugénisme.
Dans une ambiance rétrofuturiste et aseptisée, avant l’avènement du tout numérique, Niccol ménage de grands espaces vides, une architecture à la fois stalinienne et technologique, sans qu’on sache exactement si c’est la conséquence d’une volonté esthétique ou d’un budget dérisoire. Car de la SF, on nous servira surtout un discours : à l’exception de quelques fusées zébrant (assez laidement) le ciel, tout se résumera ici à une diode rouge ou verte et des douches de flammes.
On reconnaitra à Gattaca la capacité à construire une atmosphère prenante, nimbée d’une mélancolie soutenue par le score comme souvent splendide de Nyman.
Mais l’édulcoration visuelle ne fait pas toujours mouche : à l’exception de la très belle séquence du lever de soleil sur les panneaux photovoltaïques, la photographie a tout de même bien vieilli, souvent filtrée par une nappe verdâtre du plus mauvais effet, et la mise en scène n’est pas particulièrement efficace. L’écriture ne sauve pas non plus l’ensemble : linéaire, assez simpliste, fondée sur des récurrences (le retour de la nage des deux frères, (et le retour du frère, tout simplement) franchement, il fallait oser…), elle ne parvient presque jamais à transformer l’essai d’une exposition assez prometteuse. Le lien entre les deux complices aurait pu recéler une complexité autrement plus fascinante, au lieu de cette binaire dichotomie à laquelle on ne s’intéresse pas plus que cette idylle en toc ; certes, l’inexpressivité des comédiens est sans doute volontaire dans ce monde où on les transforme en machines performantes : ça ne dispensait pas le réalisateur de donner chair à son récit et ses personnages. Lorsqu’on pense à des figures comme celles qui peuplent Blade Runner, l’archétype rare du film de SF qui ne vieillit pas, Gattaca révèle encore davantage ses faiblesses. Et si l’épure n’est certes pas à son programme, d’autres exemples, comme Moon ou Ex Machina suffisent à prouver qu’on peut livrer une partition foisonnante sur l’individu confronté à l’agression de son intégrité par la technologie.
Ici, Niccol se contente de quelques passages obligés de thriller bas de gamme (traverser une route pour un myope, monter un escalier pour un infirme), autour d’une histoire téléphonée de meurtre mettant en danger le protagoniste. Tout cela appauvrit considérablement tous les enjeux réels du sujet, qui reste véritablement à exploiter par un scénariste chevronné… et un cinéaste moins frileux.