L’idée du film est classique, mais efficace : s’amuser du « rêve américain », où celui qui a réussi s’épanouit dans une charmante et désuète banlieue américaine, et montrer l’envers du décor, révéler ce que cache cette mise en scène couleur pastel.
Ainsi, la ville de Suburbicon est recyclée de celle d’Edward aux mains d’argent et est le lieu de deux intrigues parallèles.
La première, la principale, est distrayante, mais appartient à la catégories des histoires « sitôt vue, sitôt oubliée »…
Pourtant, les inspirations « film noir » / conte lugubre, ainsi que les personnages, sont chouettes. Sans en dire trop, l’idée des « apparences trompeuses » est banale, mais est bien illustrée par cette histoire, qui joue sur l’opposition entre des décors, des vies, des personnages (la première apparition de celui joué par Oscar Isaac est excellente) en carton-pâte et ce qu’il s’y cache.
La mise en scène est bien pensée, et met en image ce doute permanent, notamment lors de la scène où le personnage joué par Matt Damon s’entretient dans son bureau avec son fils. Le champ / contrechamp laisse deviner l’ascendant du père sur son fils (le père occupe plus de place à l’écran que son fils, dont les plans sont eux-mêmes largement occupés par l’ombre du père). Mais un aquarium tout mignon apparaît dans le cadre qui filme le père : le père ne semble plus très menaçant. Autre manière de comprendre cette scène : comme l’aquarium est la première chose que le spectateur voit du bureau du père, on peut croire qu’il est un gentil papa, avant que les rapports de force exprimés par l’échange nous fasse douter de sa croquignoleterie…
Dès lors, ce père est-il un gentil qui veut se donner des airs de méchant ou un méchant qui veut se donner des airs de gentil ?
Toujours est-il qu’il y a mise en scène, et mise en scène de la mise en scène, etc. : c’est amusant et intéressant.
Mais sans doute cette histoire est tout de même un peu trop téléphonée, reste trop sage, ne va pas assez loin pour être marquante.
La seconde histoire, sur laquelle le film s’étend moins, et qui est racontée en quelques épisodes, est beaucoup plus étonnante, et son traitement est inattendu.
Il est question d’une famille noire qui s’installe dans cette banlieue raciste.
Thème a priori lui aussi banal… mais cette histoire sort de nulle part, ne mène à rien, n’est pas utilisée comme ressort dramatique, et n’est pas tellement liée à l’histoire principale : elle semble être posée, là, comme toile de fond.
Et finalement, sans trop en dire, cette histoire donne lieu à un déchaînement de violence aussi invraisemblable que réaliste : invraisemblable parce que ce qui arrive est excessif, insensé… mais réaliste, car en matière de violences racistes, les Américains (du passé, et du présent) sont inventifs.
En filigrane d’un récit joueur et plaisant parce que complétement fictif, outrancier, qui joue avec les codes du film noir, qui joue avec les apparences et la mise en scène, conduit par des acteurs connus, une autre histoire se cache.
Cette histoire contraste avec la première : elle est banale, réaliste, et est incarnée par trois acteurs afro-américains inconnus.
Cette histoire, dispensée en quelques touches, en quelques minutes de-ci de-là, apparemment gratuitement dans l’économie générale du film, dit la réalité américaine frontalement, sans prendre de gants.
Cette chronique sur le racisme américain est l’élément le plus puissant du film (le plus nécessaire aussi : on ne filmera jamais trop ce racisme), peut-être justement parce qu’elle tranche avec l’extravagance et l’afféterie de l’intrigue principale.