Grand fan de Burton, j'en attendais beaucoup de "Big Eyes", bien que les mauvaises critiques dissipent peu à peu mon envie. Premièrement, parce que le dernier biopic qu'il avait réalisé, "Ed Wood", est considéré par beaucoup comme son meilleur film à ce jour. Deuxièmement, parce qu'il semblait s'éloigner de son style habituel - à commencer par ses acteurs, qu'il remplace par un prestigieux tandem, puis ensuite au niveau photographique, avec une image très solaire rappelant le "sursaut" "Big Eyes". Troisièmement, parce qu'avec un chef-d'oeuvre comme dernier film - Frankenweenie -, on pouvait espérer qu'il continue à remonter la pente... Mais est-ce le cas ?
Je ressors du film très mitigé... Je ne me suis pas ennuyé une seconde et j'ai passé un très bon moment. C'est un film simple, au scénario aéré et visuellement très agréable à regarder. La progression est plutôt fluide et efficace. Mais la fin me laisse comme un goût désagréable en bouche. L'histoire se termine, le film s'achève, point. Rien de plus. Et c'est cela le problème : sous prétexte que changer de style est déjà un effort considérable, Burton semble se reposer sur l'excuse de la transition. Du coup, c'était très survolé, très superficiel, comme la peinture qu'on dépose sur une toile. On aimerait que beaucoup éléments soient plus approfondis - comme certains personnages laissés de côté -, que le film ne soit pas simplement le déroulement ininiterrompu d'une trame vide et prévisible... Et le biopic est un genre qui s'y prête davantage que les autres, voilà pourquoi il faut redoubler de prudence ! Le rythme est irrégulier : certaines choses se passent trop vite - ils se marient en cinq minutes - et le procès final arrive Deus Ex Machina - c'est le cas de le dire, puisque c'est les témoins de Jéhovah qui donnent à Margaret la force d'attaquer son mari en justice. Même la narration est maladroite : on ne comprend pas forcément que c'est Nolan qui narre, il n'est pas montré à la fin même si on le voit écrire - contrairement à celui de Charlie... qui était clairement montré. Sa voix se fait de plus en plus absente à mesure que le film avance, et revient, de manière impromptue, pour crachoter une ou deux phrases dont le récit aurait pu se passer... Évidemment, Adams est géniale en femme malmenée par son mari, et Waltz terrible en mythomane - même si parfois, le jeu prend un ton étonnement surjoué. Est-ce un moyen plus psychologique d'exprimer son extravagance ? Un hommage aux soaps tels que Dark Shadows ? Je suis aussi déçu par la bande-originale : ce n'est pas du Elfmann, mais globalement une vulgaire copie de Newman, dont les quelques titres marquants correspondaient d'ailleurs systématiquement à une middleclass américaine rangée dans des quartiers uniformes (American Beauty, Erin Brokovitch). En réalité, cette question de la copie est posée au-delà de la simple musique : dès la première scène du film, à la manière de la production industrielle de chocolats dans Charlie..., on est mis face à une impression massive de peintures Keane. Et ça fait froid dans le dos, parce qu'on a carrément l'impression que Burton, volontairement ou pas, se place au centre de son oeuvre, en véritable objet de consommation, et dont l'univers est réutilisé à outrance... C'est finalement comme s'il était passé de l'autre côté, celui du vieil artiste en fin de carrière qui pose un regard rétrospectif objectif - et quelque peu lassé - sur son oeuvre.
Globalement, ça n'est pas un mauvais film, on suit l'évolution de la supercherie dans ses rebondissements avec joyeuse attention, mais le dénouement semble bâclé - on en attendait plus du génial imposteur qu'incarne Waltz. On dirait qu'en se "renouvelant", Burton a pris ce film comme un coup d'essai et ne s'est pas vraiment donné la peine d'aller plus en profondeur...
Il a joué la sécurité, Big Eyes ferait un très bon téléfilm.
Critique rédigée sur mon blog